L’an passé, les Gallois, qui décrochaient le Grand Chelem pour la onzième fois de leur histoire, auraient-ils pu aussi remporter le Tournoi des Six Nations sur le bonus, dont on parle tant, avait été déjà mis en place ? Pas sûr…
En 1886, il ne s’agissait que d’une suite anarchique de rencontres internationales organisées sur invitation, d’une fédération à l’autre, sans classement, sans points attribués, sans aucune gloriole à retirer d’un succès autre qu’une satisfaction collective de courte durée.
En 1910, parce qu’ils avaient l’impression de tourner en rond et surtout parce qu’il était, politiquement, important de fédérer la France, tête de pont continentale, à l’Empire britannique dans une Europe industrialo-militaire en pleine mutation, les Tricolores furent conviés à rejoindre le Championship, ainsi baptisé de l’autre côté de la Manche par les médias, et qui allait devenir chez nous le Tournoi. Des Cinq Nations.
Le classement ? Une invention des journalistes. Deux points pour la victoire, un point pour un résultat nul et rien pour la défaite. Quatre victoires de rang furent fêtées par l’appellation ‘Grand Chelem’, trois succès d’une nation anglo-saxonne sur ses pairs devenait ‘Triple Couronne’ et le dernier, aucun succès au compteur, récoltait la cueiller de bois, invention d’un supporteur facétieux. Et puis c’est tout.
En tout cas, le barnum est resté en l’état jusqu’en 1993. Et chacun ne s’en portait pas plus mal. C’était simple et c’était devenu l’histoire. Notre histoire. Celle de l’équipe de France et du Tournoi. Certaines années, les cinq nations se partageaient la première place à égalité de points au classement et seuls les Grands Chelems marquaient les imaginations et l’impact d’une équipe sur les autres. Le classement était toujours publié dans la presse mais rien d’officiel ne l’accréditait.
Jusqu’à ce qu’en 1993, donc, survienne la fameuse différence de points (goal-average) et la remise d’un trophée (une cafetière) au premier. Cette fois-ci, pas d’égalité. Il fallait un vainqueur, une cérémonie. Déjà le buzz. Et c’est Jeff Tordo qui souleva la coupe. Le Mondial avait fait son effet, obligeant les dirigeants du Comité des Cinq Nations à repenser le Tournoi à l’aune de la Coupe du monde naissante (elle en était à sa deuxième édition et venait de dégager des bénéfices).
L’entrée de l’Italie pour permettre aux télévisions de diffuser trois matches dans le même week-end, l’élargissement de l’agenda du vendredi soir au dimanche afin de conquérir les parts de marché, l’arbitrage vidéo, les nocturnes pour le prime-time, le naming, tout cela participe depuis 2000 d’un rajeunissement, d’une mise en modernité. Rien à dire. Mais rajouter maintenant le(s) bonus, comme si le Tournoi méritait de ressembler à une vulgaire compétition de l’hémisphère sud, voilà qui devient difficilement supportable.
Pour commencer, avec ce système lancé en 1995 par Rupert Murdoch et ses sbires, le vainqueur à l’arraché du Grand Chelem laisserait la première place du Tournoi au profit d’une nation qui aurait perdu une rencontre mais récolterait tous les points de bonus offensifs et défensifs possibles. Beurk. Rien que pour ça, c’est non ! Et puis à quoi bon singer les manières du Sud ? Le découpage des points de classement, tel qu’il existe aujourd’hui, a fait ses preuves. Pourquoi en changer ? Manie de notre époque que de vouloir modifier ce qui fonctionne.
Mais dans tout ça, la bonne nouvelle, c’est bien que les dirigeants du Comité des Six Nations planchent sur le sujet depuis 2005 et qu’ils ne sont toujours pas arrivés depuis à se mettre d’accord. Rassurez-vous, connaissant les pontes qui officient, ils en ont bien encore pour six ou sept ans à cogiter avant de proposer une motion. Ca nous laisse le temps de profiter du Tournoi tel qu’il est. Et tel qu’il devrait rester.