Too loose

Le couloir du stade Ernest-Wallon, durant le making-of d’un reportage. (Photo R.E.)

Cela dit, le Stade Toulousain s’est doté de tous les outils de la réussite, stade, centre d’entraînement, indépendance financière, etc… Tout pour reprendre le chemin du succès. A condition d’évoluer. D’arrêter de recruter des joueurs coffre-forts, des gestionnaires du jeu, à condition de ne plus être conservateur dans ses choix tactiques. A condition, peut-être, de changer de chef d’orchestre. Mille matches pour un seul homme, c’est beaucoup, c’est formidable, c’est inouï, mais c’est peut-être le signal qu’il est temps de passer à autre chose et de laisser d’autres hommes, d’autres techniciens, d’autres managers, s’épanouir. Et si c’était ça, le message contenu dans la défaite, chargée de symboles, de vendredi dernier, face à Perpignan ?
J’ai eu la chance, en 1985 et 1986, de suivre de l’intérieur la montée en puissance de ce club. Il n’y avait pas de huis-clos. L’entrée du stade était toujours grande ouverte, celle du vestiaire aussi. Cotoyer au quotidien Pierre Villepreux et Jean-Claude Skrela, écouter la façon dont ils construisaient le jeu, animaient les entraînements, courir parfois – mais bien moins vite qu’eux – au milieu de Didier Codorniou, Denis Charvet, Eric Bonneval et Jean-Michel Rancoule et faire le surnuméraire lors des séances en opposition, m’ont permis de comprendre ce qui différenciait, à cette époque, le Stade Toulousain des autres clubs.
De quoi s’agissait-il, alors ? D’avoir toujours un ballon en main, de regarder en permanence autour de soi, d’analyser les déséquilibres, de ne plus considérer, après le premier temps de jeu, les avants et les trois-quarts comme des catégories séparées, de se souvenir que le ballon va toujours plus vite que le joueur, qu’il faut élargir quand les défenses sont resserrées et prendre très vite un intervalle pour obliger les défenseurs à se rapprocher, créant ainsi un effet permanent d’accordéon. Et ça, quand vous avez le privilège d’être au milieu du terrain, de voir cette respiration prendre forme d’un bord de touche à l’autre, ça vous fixe les idées à jamais.
En 1989, l’ancien ouvreur du XV d’Ecosse, John Rutherford, devenu entraîneur du club de Selkirk, m’avait demandé d’organiser une visite du Stade Toulousain. En 1991, l’ouvreur de la Rose, Rob Andrew, prennait sa licence à Toulouse. Rutherford est devenu par la suite coach des lignes arrière du Chardon et n’a pas oublié ce qu’il avait vu et entendu aux Sept-Deniers. Rob Andrew, qui a découvert au Stade Toulousain comment bâtir ce qu’il appelle, lui, le French Flair, a été par la suite nommé patron de la formation au sein de la fédé anglaise.
Aujourd’hui, l’équipe de France se déplacera à Twickenham en élève. Les Anglais ont lancé une énorme génération dans le bain du Tournoi, une ligne de trois-quarts doués, des avants dominateurs. L’Angleterre, qui organisera le Mondial 2015, est sûre de sa force après avoir connu, en 2011 et 2012, deux saisons difficiles. Elle a perdu des matches, comme la France en ce moment, mais n’a jamais douté. Elle remplit son stade et à chaque match, ce sont autant de livres sterling qui tombent directement dans les poches de la fédé.
L’Angleterre peut dédommager ses internationaux, trouver un accord satisfaisant avec les clubs pros : le rugby lui appartient. Non seulement elle l’a inventé mais depuis quelques temps, elle l’a bien amélioré, pour reprendre, en le détournant, l’aphorisme de Jean-Pierre Rives. C’est dans ce contexte, qui lui est peu favorable, que le XV de France va disputer sa troisième levée dans ce Tournoi 2013 mal barré. Je suis un indécrottable romantique : je crois encore aux miracles, aux bons sentiments, à la révolte des hommes, à la force des idéaux. Parce que le sport est la dernière chevalerie encore en activité. Et parce que le rugby, par les valeurs qu’il porte en lui, constitutives à la composition d’une équipe, permet d’élever un collectif.
Samedi, je vais savoir. Je vais savoir si le romantisme est définitivement mort et enterré, si notre rugby de France doit d’être repensé de fond en comble, si la ligne bleue qui va être alignée à Twickenham est une génération perdue, s’il faut faire le dos rond ou au contraire se réjouir. Se réjouir d’une défaite annoncée qui, au lieu de nous plonger dans la déprime, nous donnerait la force d’impulser des changements, se réjouir d’une victoire qui, pour n’être qu’éphémère, nous ferait croire en notre différence…
Alexis de Tocqueville écrivait en 1835 : « Les Français ne veulent reconnaître aucune supériorité. Les Anglais ne supportent que ceux qu’ils jugent inférieurs. Le Français lève les yeux avec anxiété, l’Anglais les baisse avec satisfaction. Des deux côtés, c’est de la fierté mais exprimée de manière différente. »
P.S.: il semblerait que l’idée d’échanger sans pseudo commence à devenir une (bonne) habitude. C’est aussi ça, l’esprit rugby…

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