Cap au pire

Le capitaine irlandais Jamie Heaslip fera tout pour renverser les Bleus, samedi.

On voit bien que ce match contre l’Irlande, samedi, déborde du cadre classique d’une rencontre du Tournoi : il n’est plus question d’écluser seulement des pintes de Guinness le nez au vent avant d’aller visiter la tour de James Joyce en imaginant Napoléon débarquer dans la baie de Dublin, puis descendre à la gare de Foxrock et se dire qu’on a bien de la chance de visiter les îles en suivant les rebonds d’un drôle de ballon. Non, là, un profond pessimisme enveloppe nos journées avant le coup d’envoi. Et j’ai du mal à m’imaginer sans un peu de crainte la fin de partie.
Depuis juin dernier et la tournée en Argentine, cette équipe de France de tous les espoirs s’en va de succès en désillusions. Oh, les beaux jours ! Envolés… Et avec eux gommée l’embellie du trio des 3 M,  Machenaud – Michalak – Mermoz, dont on se disait qu’il portait beau, ballon en mains comme on conduit un camion bleu, le trait d’union des générations.
Regardez tous ceux qui tombent ! Pascal Papé, Dimitri Szarzewski, Fulgence Ouedraogo, Benjamin Fall, Maxime Mermoz, Jocelino Suta, Damien Chouly et Romain Taofifenua sortis du groupe France sur blessure ou par défaut de performance… Ecoutez les sifflets tombés sur Frédéric Michalak après trois passes manquées face aux Anglais. Petit à petit, l’ouvrage se délite, le fil de cette équipe se découd.
En attendant, nous en sommes à nous demander d’où arrivera le grand secours meurtrier, par où Philippe Saint-André et ses adjoints feront exploser ce qu’ils ont construit en neuf mois ? Qui portera, en cas de nouvelle foirade, samedi soir, le poids de l’échec à répétition ? Le staff ? Le capitaine ? Les cadres ? Les meneurs de jeu ? Les leaders de vie ?  Ce tout qui manque, en somme…
Rome, Saint-Denis, Twickenham… A chaque fois s’additionne dans ce Tournoi un acte sans parole ; ce ne sont pas les conférences de stress d’avant et d’après match qui éclairent nos lanternes. Avant Saint-André, il me fallait lire dans le Marc parfois un peu fort de café. Là, peste soit de l’horoscope qui annonce pour ce week-end, je cite, «que trop d’attention portée aux détails peut nuire à l’équilibre», et aussi «qu’aux voyages il faudra préférer cocooner».
Partir pour Dublin, en ce moment, c’est mettre cap au pire. Défaits à Murrayfield après avoir assumé l’essentiel du jeu, les Irlandais d’Heaslip, trop tendus, reviennent cette semaine au port les voiles gonflées de frustration. Battus par l’Angleterre devant leur public après l’avoir fait rêver à distance forts d’un succès à Cardiff, ils veulent maintenant sauver leur Tournoi – eux aussi – ce samedi. Et ce sera face à la France, qui est dans le même cas.
Et pourtant, il faut continuer… Parfois, l’équipe de France, quand elle est bien humiliée, sort un de ces matches grandioses qui contribuent à alimenter sa légende comme on alimente un feu en bûches. Avec toute sa flamme. Souvenez-vous, Venditti, Baby… Là, j’ai plutôt l’impression que ce sera sans. J’ai peut-être mal vu, ça a sans doute été mal dit, mais mis à part cinquante minutes face aux Anglais – mais un match en compte malheureusement quatre-vingt – et une fulgurance signée Fofana, l’austérité le dispute au minimalisme.
Epilogue. Au moment où les Bleus se cherchent toujours un ouvreur, l’entraîneur des Verts vient de se priver de Ronan O’Gara, le meilleur réalisateur irlandais de l’histoire. Il lui préfère Jonathan Sexton, qui tient sur un genou, et Paddy Jackson, qui tourne à 25 % de réussite dans les tirs au but. La chance vient-elle enfin de nous sourire ?

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