Sir John

Certains font taire Twickenham, d’autres le font chanter. C’était le cas de Jean Prat, qui savait prendre le meilleur des Anglais.

Ce qu’il y a de bien avec les Anglais, c’est qu’ils ne considèrent pas la défaite comme une option. Jusqu’à ce qu’ils perdent. Et quand ils s’inclinent, c’est lourdement. Samedi dernier à Cardiff, avant le coup d’envoi, pas grand chose ne pouvait les priver d’un Grand Chelem. Il leur tendait les bras. J’étais même de ceux qui n’imaginaient pas comment des Gallois, insignifiants sept jours plus tôt, à Murrayfield, allaient s’y prendre pour ne pas prendre une rouste.
Mea culpa. J’avais juste oublié un truc : le rugby est d’abord un sport de combat collectif. Dans combat, il y a hargne, rage, intensité, violence. Dans collectif, il y a âme, lien, soudure, identification. J’ai occulté ce que ce sport peut avoir d’éruptif. A quel point le Millennium stadium, le pays de Galles et quinze mecs en rouge peuvent se fondre en une seule entité. C’est pour cela que le rugby est grand, et qu’il draine tellement de passionnés.
Battus par tout un pays et pas seulement par une équipe, les Anglais ont pris une claque, samedi, en s’inclinant, dernière levée en forme de retour à l’envoyeur, comme l’équipe de France avant eux à Rome, il y a deux mois, au début de l’édition 2013. Comme quoi rien n’est jamais acquis, à Marcoussis comme à Twickenham, pour les vainqueurs en novembre dernier de l’Australie comme pour, de ce Tournoi, les grands favoris.
Cette défaite anglaise, franchement, elle tombait vraiment mal, parce que Sir Clive Woodward avait décidé de donner des conseils à Philippe Saint-André. Et quand l’Anglais prend de la hauteur pour expliquer à un pauvre petit latin ce qu’il faut faire pour devenir champion du monde, le monde doit s’arrêter de rebondir pour l’écouter. Of course. Voire même s’incliner. Comment peut-on sélectionner Frédéric Michalak ? Enfin quoi, my dear Philip, vous n’y pensez-pas…
Je me suis interessé aux statistiques. Ce n’est pas mon truc, mais bon, pour une fois. Surprise. Après Titou Lamaison, parangon de l’ouvreur français (ils ne sont pas nombreux) qui aligne 83% de succès dans le Tournoi, qui trouve-t-on ? Michalak, avec 78%. Derrière lui ? Albaladejo et Mesnel (70%), Gachassin et Trinh-Duc (60%), Deylaud (33%) pour fermer la marche. Que disent-ils, ces chiffres ? Qu’avec Michalak, l’équipe de France a huit chances du dix de remporter un match du Tournoi… C’est sans doute pour cela que PSA a tellement insisté pour le garder, Fred, et ça lui a réussi sur la fin. Au moment où ça ne voulait plus rire pour l’Angleterre. Appréciez l’ironie.
Vous l’avez compris, j’apprécie Michalak. Comme d’autres avant moi défendaient Maso, Gachassin, Dédé Boni, pestiférés, joueurs de génie. A cette époque-là, c’étaient les sélectionneurs, les gros pardessus tels que tancés par Jean Dauger quand il chroniquait, qui dégageaient les purs talents sur la touche. Aujourd’hui, autres temps, autres moeurs, ce sont les internautes qui veulent la peau d’un joueur hors-normes. Je ne sais pas s’il faut en rire ou en pleurer.
En tout cas, Fred, il a fermé son compte Twitter. Cela dit, je le comprends. Moi, ici même, j’ai été obligé rapidement de faire le tri entre les gens bien élevés et les violents du verbe qui pensent que l’insulte est un argument. Quant à Sir Clive, c’est PSA lui-même qui nous a avoué que l’agent du donneur de leçons l’avait contacté pour le cas où la FFR chercherait un directeur de rugby pour guider les petits Français vers le titre mondial en 2015. Mouché, Sir Clive n’a pas du apprécier le camouflet. D’où son ire par média interposé. Là, il faut en rire.
Il n’y a qu’une fois où les Anglais se sont inclinés. Vraiment. C’était en 2002. J’avais la chance d’être présent dans le Temple, à ses côtés. Jean Prat, que les Anglais surnomment Sir John depuis qu’il leur a botté le cul en 1951, avait reçu cette année-là, les clefs de Twickenham. « Vous êtes ici chez vous, Mister Prat« , lui avait glissé, ému, le conservateur du Musée de Twickenham en lui offrant de visiter le stade à sa guise, quelques jours avant un France-Angleterre.
Dans les heures troublées que nous traversons, où tout et son contraire se rejoignent, les pro et les anti, la défaite utile et le succès insignifiant, une dernière place du Tournoi et la première victoire bleue de l’année, la sortie de Michalak soutenu par une standing ovation et les flots d’injures sur la toile, le futur encore trop loin et le présent qui n’est pas un cadeau, j’avais juste envie de revenir à l’essentiel. Quoi de neuf ? Jean Prat. En paraphrasant Guitry.

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