Souvent revient le même constat : que le Castres Olympique l’emporte et voici qu’il s’agit de mettre en exergue la contre-performance de son adversaire. En presque trente ans de carrière, j’ai constaté que les succès castrais étaient rarement valorisés. Comme si gagner face à cette équipe-là paraissait logique et perdre face à elle incongru. Vous l’avez sans doute vous aussi constaté, il n’y a quasiment aucun gros titre dans la presse, spécialisée ou généraliste, pour magnifier les victoires castraises.
Champions de France, en 1993, face aux mammouths de Grenoble, les Castrais furent instantanément privés de leur bonheur : un cliché montra que leur essai, celui du all black Gary Whetton, n’était pas valable puisque le demi de mêlée isérois Franck Hueber avait aplati dans l’en-but. Ils durent donc convaincre leurs détracteurs qu’ils n’avaient pas été protégés par le pouvoir fédéral, celui de Bernard Lapasset et, dans l’ombre, celui d’Albert Ferrasse, lesquels ne souhaitaient pas voir le paria Jacques Fouroux, coach du FCG, monter en tribune officielle récolter le bouclier de Brennus.
Castres est un club de village porté financièrement par un groupe pharmaceutique sans lequel il évoluerait depuis longtemps en Fédérale 1, et il n’y a pas de mal à ça. Castres n’a rien de glamour, dit-on, mais pour avoir longé les berges de l’Agout et visité le musée Goya, je peux vous assurer que cette sous-préfecture ressemble, par endroit, à Florence, toutes proportions gardées. Phagocyté par Toulouse tout proche, dépassé dans la course à l’armement par Toulon et le Racing-Métro, le C.O. résiste avec ses valeurs, immarcescibles, à savoir la solidarité défensive, la consistance tactique, l’humilité, l’effet de surprise et une mêlée compacte où les liens entre les hommes sont aussi importants que les serrages.
Vingt ans après son titre, la cité où naquit Jean Jaurès revient en finale, et l’opposition que va lui fournir le RCT, samedi soir, est un choc culturel. Ville contre village, président-propriétaire contre président-gestionnaire, groupe étoilé face à un effectif constant, champion d’Europe en titre face au champion du Tarn, comme l’a lâché récemment Pierre Berbizier. Battre ce Toulon-là installé dans une spirale ascendante, c’est atteindre un sommet situé haut, très haut. Trop haut ? On peut l’imaginer tant la puissance varoise pèse, tant compte la botte de Jonny Wilkinson.
Durant cette phase finale, Castres a contré, samedi dernier, la machine à mouvements clermontoise comme il avait détruit, auparavant, le système de jeu montpelliérain. Castres, équipe caméléon douée d’une remarquable intelligence tactique, capable d’engluer n’importe quel adversaire ambitieux, mérite de revenir sur le devant de la scène, sous les éclairages, dans la loupe des médias. Castres, c’est aussi le duo Labit-Travers, un ouvreur champion de France (1993) et un talonneur champion d’Europe (1997) et, en recrutant ce tandem de techniciens, le président du Racing-Métro, Jacky Lorenzetti, a prouvé qu’il ne s’est pas trompé de chefs d’orchestre.
Alors, oui, Castres, ce n’est pas aussi vendeur que Paris, Biarritz, Bayonne, Toulouse, Perpignan, Montpellier, Clermont ou Toulon. Oui, Castres est difficile à jouer, à contourner, à battre et à abattre. Dans un rugby pro parfois bling-bling, ce club est, je l’avoue, un anachronisme ; comme une survivance de l’ère amateur, d’une époque où Albi, Gaillac, Mazamet, Carmaux et Graulhet tenaient, eux aussi, et parfois en même temps, le haut du pavé. Oui, Castres ne devrait pas être capable de battre Toulon, samedi, au Stade de France, et fera un excellent sparring-partner. Et oui, les deux Laurent vont jouer sur cette corde sensible, tendue à l’extrême, comme s’il s’agissait de la dernière chance pour cette ville, cette équipe, de faire parler d’elle.
Avant de parier sur l’écart que va lui infliger le RCT, n’oubliez pas que Castres aligne plusieurs internationaux français dans ses rangs : le pilier Yannick Forestier, le deuxième-ligne Christophe Samson, les troisième-ligne Antonie Claassen, Ibrahim Diarra et Yannick Caballero, les ailiers Romain Martial et Marc Andreu, l’arrière Brice Dulin. Sans oublier Lazar (Roumanie), Capo Ortega (Uruguay), Taumoepeau (Nouvelle-Zélande), Tekori (Samoa), Wannenburg (Afrique du sud) et Bai (Fidji). Voire Talès, qui sera de la tournée du Quinze de France en Nouvelle-Zélande au mois de juin prochain. A défaut de susciter autant de considération que l’armada toulonnaise, une telle composition mérite le respect.