Alors que s’amorce déjà la nouvelle saison, dans cet entre-jeu propice aux réflexions, trois personnages hors du commun ont croisé mon chemin. Avant des vacances qui ouvrent une parenthèse ensoleillée de Bilbao à Valencia en passant par Madrid (je vous laisse imaginer la thématique qui sous-tend ce périple), partageons ces instants privilégiés, de ceux qui me font aimer davantage le rugby, si c’est encore possible.
A Bordeaux, invité par Jean Trillo à la remise de sa Légion d’Honneur, j’ai traversé neuf heures non-stop aux bons rebonds de la passion partagée ; avec Vincent Etcheto, bronzé comme un vacancier, pour parler de l’Union, c’est sacré, le sourire aux lèvres ; avec Guy Accoceberry, toujours aussi mince et disert, les All Blacks en filigrane ; avec Pierre Villepreux, retraité comblé qui passe ici et là à hauteur du jeu et jamais du je.
Au cours de la soirée, ils se sont vraiment retrouvés, Jean Trillo et Pierre Villepreux, deux des archanges de ce rugby lumineux relayé aussi, dans les années 60, par Jo Maso et Jean-Louis Bérot. Trillo et Villepreux, deux anciens entraîneurs de l’équipe de France, deux techniciens qui ne parlent que d’exigence. Avec soi, pour les autres. Et non pas avec les autres, pour soi, comme on l’entend trop souvent chez ces pros qui ne se soucient que de leur image.
Ils étaient là, les yeux dans les yeux, une main sur l’épaule de l’autre. Personne n’osait s’approcher trop près, les laissant à leur intimité. Ils se parlaient de rugby. Comme seuls peuvent en parler des puristes qui n’attendent aucune reconnaissance du chaland qui hurle pour ses couleurs et vocifère contre ceux qui ne sont pas de son avis. Ce moment-là était magnifique au milieu d’un aréopage d’amis venus de partout. Imaginez ce que Maso, Trillo, Villepreux et Bérot purent représenter en Nouvelle-Zélande, lors de la tournée de 1968. Trillo dira, ce soir où les belles âmes étaient légion : «Les All Blacks nous ont dit que nous faisions sur le terrain ce qu’ils n’osaient pas tenter…» Autre temps, autre mœurs : aujourd’hui nous regrettons que les Tricolores ne puissent pas contre-attaquer comme des All Blacks en liberté.
Pierre Buet, sur la chaîne 365 Sport, avait réuni Abdel Benazzi et Ryadh Sallem, l’un des meilleurs joueurs de l’équipe de France de rugby-fauteuil. Une place m’était offerte sur ce plateau. La France est actuellement quatrième meilleure nation européenne de la discipline handisport, reconnue aux J.O. de Londres 2012. Un classement plus flatteur que celui des quinzistes valides, derniers du Tournoi. Ryadh Sallem, c’est un gabarit à la Benazzi. Mais les jambes amputées. Un colosse rayonnant sous ses dreadlocks façon Richardson. Il évoque son sport avec tellement de passion que je m’en vais suivre, mi-aout, le championnat d’Europe que ces Bleus à l’âme et à lames vont disputer à Anvers.
Avant de m’éloigner en juillet, je voudrais saluer la généreuse initiative du club d’Albi et de son entraîneur Henry Broncan. Elle consistait à inviter des joueurs professionnels en recherche d’emploi à partager – c’est un verbe qui parle du rugby mais qui n’est malheureusement pas assez employé – l’entraînement et le pain, ces baumes qui touchent à cœur quand il n’est plus possible d’exercer son métier. Ces posts, sur L’Equipe.fr, devraient susciter des commentaires. Plus que pour n’importe quel buzz.
P.S.: en cadeau de fin de saison une rareté, la fameuse photo des « Interceptions » de Denis Lalanne, quand il oeuvrait pour L’Equipe.