Jamais Coupe d’Europe n’aura été autant suivie. Forcément : ça risque d’être la dernière. La dernière sur ce format, avec les Anglais, j’entends. Parce que l’ERC va faire sans eux. Comme en 1995/1996. Si la H Cup, qui peinait à se faire une place au soleil entre le Premiership et le Top 14, avait voulu se payer un coup de pub, elle ne s’y serait pas mieux prise. On n’entend parler que d’elle. Et lundi, ce 23 septembre, il y avait foule dans le salon de France Télévisions au moment de présenter la dix-neuvième édition, et pas seulement pour l’excellent buffet qu’on y servait.
Que les clubs anglais veuillent davantage de pognon, ça les regarde et ils ne sont pas les seuls dans ce cas. Que les Anglais, dans l’Europe rugbystique comme dans l’Europe politique, économique, financière et sociale, ne pensent qu’à eux, ce n’est pas nouveau. Réflexe insulaire. Que les Anglais signent un contrat télé en cachette, dans leur coin (on vous en parlait ici même dès janvier) ne fait que confirmer leur état d’esprit : moi d’abord et les autres ensuite. Qu’ils décident, comme en 1995, 1999 et 2007, de quitter la H Cup, on connait le refrain. Et à la fin de la chanson, ils finissent toujours par revenir.
On ne change pas un Anglais. Mais, en revanche, à quoi joue Paul Goze ? Comment la LNR peut-elle accepter de se décrédibiliser ainsi en annonçant la création d’une compétition pirate ? «Inélégant», «hors de propos», mais aussi «ridicule», «incompréhensible», j’en passe des plus salés : que de reproches ai-je entendu, lundi, venant de joueurs et d’entraîneurs du Top 14 au sujet de l’annonce du projet d’une compétition pirate franco-anglaise… Sans compter que le timing, la veille de la présentation de l’actuelle H Cup, ne fait pas seulement grincer des dents, il en dit long sur l’esprit – pas très rugby – qui anime le patron du rugby pro français, acoquiné avec les Anglais.
RCC. Rugby Champions Club. Où est-ce que vous voyez écrit «Europe», vous ? Moi, nulle part. En fait, il ne s’agit pas d’une Coupe d’Europe bis mais d’une compétition entre clubs anglais et français qui ne va pas tarder à annoncer l’agrégat de provinces sud-africaines, elles aussi attirées par l’argent (qui viendra ainsi combler le trou qui s’élargit dans leurs caisses), et pourquoi pas d’équipes russes, canadiennes, américaines et argentines, deux sélections Pumas montées de toutes pièces dont on sait qu’elles vont prochainement intégrer le Super 15.
J’imagine que si la LNR a choisi la voie du putsch avec le risque de s’aliéner tout le monde, à commencer par l’organisateur, les diffuseurs et les institutions (FFR, IRB), c’est parce qu’elle est sûre de son fait. Pour autant je ne suis pas certain que les instances (Provale, Tech XV, etc…) aient été consultées, pas même tous les présidents de Top 14, et encore moins ceux de ProD2. Normalement, la LNR parle au nom du rugby pro. Il me semble, là, que l’on n’entend qu’une voix, conseillée par deux personnes qui se gardent bien de l’ouvrir : René Bouscatel, président du Stade Toulousain, et René Fontès, ex-président de Clermont.
En coulisses, avenue de Villiers, dans le 17e arrondissement de Paris, il se dit que la Ligue ne fera pas machine arrière. Tout est calé, la cargaison assurée, le cap tracé. Bref, la RCC est lancée. Rendez-vous fin octobre pour en savoir plus. Le 23 octobre, l’ERC se réunira autour du médiateur choisi par l’IRB pour faire avancer le dossier. Je suis persuadé que la LNR et le Premiership organiseront un raout un jour plus tôt pour nous faire partager leur projet. J’ai surtout le sentiment que ce dimanche 22 septembre, à midi, le rugby européen s’est ridiculisé. Les valeurs du terrain – solidarité, soutien, respect, lien – (ce qu’on appelle l’esprit rugby) existent toujours et permettent, fort heureusement, de faire la différence entre une équipe et quinze joueurs. Mais ont-elles encore cours chez ceux qui dirigent ce sport pro ?
Photo prise à Bath. Là d’où tout le bazar est parti, initié par son président, un milliardaire anglais dénommé Bruce Craig.