Une heure


Le rugby contemporain a ceci de bien fait c’est qu’il laisse mûrir les actions décisives. Naguère, à peine l’essai inscrit et la vague des attaquants retirée jusque dans son camp, il n’y avait que le temps octroyé par l’arbitre à l’ouvreur ou à l’arrière au moment de tenter la transformation – sans tee, sans voiturette et sans préposé à la pause-boisson – pour nous permettre de reprendre notre souffle.
Aujourd’hui, vous avez tout loisir de vous soulager, tranquillement, que l’essai n’est toujours pas validé par l’arbitre. Ça peut durer longtemps, un visionnage vidéo. Surtout avec onze caméras autour du stade. Ça laisse aussi le temps de savourer l’essai, d’en apprécier tous les angles, de vous apercevoir qu’il n’est pas valable ou qu’il est parfaitement justifié de l’accorder sans l’aide d’aucun recours.
J’ai connu l’ère de l’essai instantané, celui qu’on voit venir en cinq secondes, parfois moins. Un essai à trois passes, souvent à deux, dans le côté fermé. L’ailier se baisse, aplatit, laisse la balle immobile dans l’en-but, décrit un demi-cercle et s’en retourne, félicité discrètement par ses coéquipiers. L’essai fulgurance, que seul un œil averti pouvait apprécier en anticipant l’action, celui de Philippe Bernat-Salles face à l’Angleterre, Tournoi 1998, le premier des essais plantés au Stade de France, sur une passe millimétrée signée Benetton, un autre Philippe.
Il y avait aussi l’essai jubilatoire, que l’on sentait arriver de loin, qui traversait le terrain, mille passes ou au contraire une percée majuscule. Une vague venue de l’horizon, belle comme une fresque. Elle s’imprimait sur nos rétines. Je fais souvent défiler l’essai de 1991, Twickenham, parti de Pierre Berbizier pour arriver jusqu’à Philippe Saint-André. Ce jour de crachin, j’étais assis aux côté d’Olivier Margot, tout en haut du Temple, l’ancien, celui en tôle de hangar peinte de vert foncé.
Samedi, j’en ai vu quatre, d’essais. Deux accordés, deux refusés. Celui de Pietersen, no problem. Mais les autres, vous pourriez les ausculter dans tous les sens, dessus, dessous, derrière, de côté – c’est d’ailleurs ce que l’arbitre vidéo a fait -, bien malin qui saurait où va pencher la balance. L’Ecossais M. Ramage, très tatillon quand il officiait sur le terrain, a évité trente points d’écart au XV de France, nous l’en remercions, mais toutes autres décisions que les siennes pouvaient se justifier.
Tout ça pour dire que je ne reviens pas sur le score, 19-10 en faveur des Springboks. Il aurait tout aussi bien pu être de 33-3 sans qu’un scandale n’éclate aux abords du Stade de France. Juste signaler qu’un arbitre peut décider du sort d’un match, mais que c’est l’arbitre vidéo qui choisit le score. Nous sommes là, impuissants, l’arbitre de champ y compris, à attendre ses décisions. Il porte souvent des lunettes, M. Vidéo, et travaille dans un cagibi.
J’allais oublier… L’avantage, c’est qu’on peut revoir dix fois l’essai, enfin du moins l’action. C’est toujours ça de gagné. L’inconvénient, c’est que chaque période, au lieu de durer quarante minutes, se prolonge d’une heure. Quand le match est plié assez tôt dans la partie, comme ce fut le cas face aux Springboks, ça devient long. J’ai vu, samedi soir, le public du Stade de France quitter les travées au coup de sifflet final sans saluer l’équipe de France dans son tour d’adieu. Y a-t-il un rapport de cause à effet ?

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