Cette première ligne est facile à écrire dans la mesure où elle traite de la mêlée. Il y a deux façons d’aborder le problème en version bleue, secteur de jeu que l’on a vu lourdement sanctionné dans ce Tournoi. Par la face frontale, à l’impact, pour tenter de faire fléchir l’IRB. Ou par des voies plus subtiles, moins pénalisantes pour le pack du XV de France.
Yannick Bru, l’adjoint tricolore chargé des avants, se gratte la tête et avec lui le staff, les joueurs et une partie du public, celle qui a poussé un peu, mis des coups de tronche et s’est frictionné le dos au Dolpic. Il y a de quoi s’interroger, effectivement. Comment peut-on passer d’une mêlée dominatrice face l’Angleterre en début de Tournoi à l’obligation de sortir son pilier gauche à la mi-temps, sous la menace d’un carton jaune, face à l’Irlande, samedi dernier ?
Car enfin, c’est une première ! Domingo remplacé par Debaty, décision prise dans le vestiaire pour ne pas risquer l’expulsion temporaire, l’infériorité numérique, tout ça parce que l’arbitre, M. Walsh, a prévenu le capitaine Papé qu’à la prochaine mêlée écroulée, il allait sévir… Incroyable. L’arme fatale tricolore, celle d’Alfred Roques, de Robert Paparemborde et de Jean-Pierre Garuet, soumise par le règlement, sommée de s’incliner à force de pousser plus bas que l’adversaire.
Un siècle de tradition, de sueur et de côtes fêlées, de bosses sur le front et d’arcades ouvertes, de reins pilés et d’épaules en travers, de positions des pieds et de vertèbres tassées mis à mal parce qu’il faudra, désormais, que cette épreuve technique, ce combat collectif, cette zone d’affrontement, devienne une simple remise en jeu limpide. En édulcorant ce qu’il y a de plus rugueux, le rugby s’avance encore un peu plus vers le sport spectacle, vous pourrez dire : «Je l’ai vu, c’était lors du Tournoi 2014 !»
Il s’est passé la même chose en touche en 1995 au sortir de la Coupe du monde quand le soutien aux sauteurs a été autorisé, l’ascenseur validé, les triptyques construits dans l’alignement. Cette phase de jeu brouillonne et parfois totalement anarchique est devenue claire. Le combat, souvent violent, difficile à arbitrer, est monté à trois mètres de haut, sortant de la fondrière. Tout le monde, aujourd’hui, y trouve son compte.
La mêlée, sans doute, va devoir vivre sa révolution. Si le XV de France souffre aujourd’hui d’une forme d’incompréhension, la solution passera par ses clubs d’élite. Début avril s’avancent des quarts de finale. Les mêlées de Toulouse, de Toulon et de Clermont en Coupe d’Europe, mais aussi celles de Brive et du Stade Français en Challenge européen, vont être scrutées, c’est à parier.
Epaules hautes, introduction droite, poussée rectiligne, talonnage rapide, éjection immédiate : la mêlée est désormais en phase de normalisation. Considérés irréductibles, les Français auraient tort de croire qu’ils peuvent lutter face à un mouvement international qui tend, depuis vingt ans, à polir petit à petit les surfaces rugueuses et abrasives du combat collectif. Peut-on avoir raison, seul contre tous ?
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