Sale attente

Dans le cas où le XV de France souhaiterait obtenir le succès après lequel il court en ce mois de juin, je suggère à la FFR d’organiser illico sur le chemin du retour une rencontre avec les îles Cook, solidement installées à la 46e place mondiale du classement IRB. Les îles Cook, c’est un peu la Jamaïque du rugby, et il n’y a pas de raison que ce qui fonctionne pour le moral des footballeurs ne marche pas avec les rugbymen.
Samedi dernier, à Brisbane, en encaissant sept essais déroulés à la main, les Tricolores du capitaine Mas, humiliés 50-23, peuvent être comparés à des Jamaïcains de l’ovale, avec huit buts dans leur filet. Eux, ce sont sept essais ! Il faut remonter à la déroute assumée en Nouvelle-Zélande par Bernard Laporte privé de ses meilleurs joueurs à cause des demi-finales de Top 14 en juin 2007 pour trouver trace (61-10) d’une addition plus épaisse.
Pour rester optimiste à force d’ironie, on peut voir dans la claque de Brisbane la volonté du staff tricolore de ne pas dévoiler sa stratégie, son système défensif hermétique et ses combinaisons huilées avant le seul rendez-vous qui vaille : la Coupe du monde 2015 ! Alex Willie, ancien troisième-ligne des All Blacks,devenu entraîneur dans les années 90, avouait qu’«il ne fallait rien montrer de son jeu avant les matches importants».
A l’époque, les équipes en visite dans l’hexagone affrontaient des sélections régionales, le Bataillon de Joinville et France B. Aujourd’hui, la multiplication des tests-matches (juin et novembre) entre deux Tournois des Six Nations démystifie les joutes internationales. Plus rien n’a de valeur, si ce n’est pour remplir les stades et les poches des trésoriers des fédérations.
En Australie, la pioche est mauvaise : l’équipe de France ne fait plus recette. A peine 33 000 spectateurs au pays du XIII pour assister à une mascarade, c’est même beaucoup… Pour éviter des tribunes vides à Sydney, il serait souhaitable de disputer le deuxième test au Concord Oval (ils n’étaient que 18 000, ce jour-là), qui vit la victoire du XV de France contre l’Australie en demi-finale du Mondial 1987, histoire d’y retrouver un peu d’épique, de se brûler à la flamme qui animait Blanco, Sella, Berbizier, Champ, Rodriguez, Dubroca, Garuet…. Lagisquet peut témoigner de cette époque.
Le Tournoi garde son éclat, bon an, mal an. Mais les regards des entraîneurs, désireux de réussir leur quadriennat, sont tournés vers une place en finale d’un Mondial. C’est valable aussi pour les joueurs. Samedi, à Brisbane, mis à part les neuf premières minutes et les sept dernières de ce premier test, soit un gros quart d’heure, je n’ai pas vu de Tricolores concernés, engagés, motivés, prêts à laisser leur carcasse sur le terrain.
A l’exception de Papé, Szarzewski, Kayser, Claassen et Trinh-Duc, ils sont pourtant tous en Australie, les «protégés» de la convention. C’est sur eux que compte le staff tricolore pour décrocher le trophée Webb-Ellis, l’année prochaine. Mais ce ne sont pas avec des passes aveugles ou mal ajustées, des pénalités concédées en mêlée, des montées défensives de kamikazes et des plaquages de minimes que ce XV de France parviendra à offrir et à s’offrir, enfin, ce que nous attendons tous depuis 1987.
Depuis bientôt trente ans que j’écris sur le XV de France pour L’Equipe, j’ai appris au moins une chose : qu’il ne faut jamais croire ce que disent les déroutes, souvent trop grosses pour être lisibles. En 1999, trois mois avant le coup d’envoi du Mondial, les coéquipiers d’Ibanez étaient étrillés par les All Blacks à Wellington avant de les détruire à Twickenham et se hisser en finale. En 2011, j’ai appris à mes dépens qu’il ne fallait jamais donner pour morte une équipe de France brûlée de l’intérieur.
Séparée de son entraîneur, isolée à force d’être médiocre, balbutiant durant trois ans un jeu qui n’était pas fait pour elle, moche face au Japon et au Canada pour finir par être humiliée par les Tonga lors de l’édition 2011, elle se retrouva en finale et fit douter les All Blacks chez eux. Elle fit taire de peur l’Eden Park, et toute la Nouvelle-Zélande serra les fesses. Si une équipe de France méritait de remporter la finale de Coupe du monde, et surtout pas mourir à 7-8, privée de justice arbitrale, c’est bien celle-là.
Coachée par Saint-André depuis 2012 et vilipendée comme la précédente, elle donne aujourd’hui l’impression de ne pas avoir de moelle, d’âme, de caractère. Elle semble se traîner d’une Coupe du monde à l’autre, attendant ce dernier rendez-vous pour se réveiller. Afin de passer l’été sans orage, il ne lui reste plus qu’une option : se racheter à Brisbane. L’emporter serait un authentique exploit. En effet, depuis que le rugby est pro, la France, battue lors d’un premier test de juin (1997, 2002, 2007, 2008, 2013) en Australasie, n’a jamais été capable d’empocher le deuxième.

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