Aux temps héroïques, les tous premiers, quand le ballon n’était pas complétement ovale et tout à fait en cuir, il y avait des Anglais, des Ecossais et même un Américain en équipe de France. Personne ne trouvait à y redire. Le rugby n’est pas une nationalité, c’est un état d’esprit. Un choix, en quelque sorte. Il se réfère au droit du sol plus qu’au droit du sang. C’est le temps qu’on passe pour une équipe qui rend son maillot si important, si l’on veut détourner la phrase de Saint-Exupéry.
Regardez les supporteurs toulonnais : ils se fichent pas mal, dans leur très grande majorité, que Bakkies Botha ne soit pas né à La Valette et que Matt Giteau n’ait pas vu le jour au Mourillon. Ces deux-là, comme les recrues varoises venues de tous les continents, jouent, gagnent et suent pour et dans le maillot rouge et noir orné d’un muguet. Et ça leur suffit. La reconnaissance s’obtient sur le terrain. Idem du côté de Toulouse, de Clermont, du Racing, d’Oyonnax, de Brive, du Stade Français, ou d’ailleurs.
Pour ajouter un peu de piment dans la sauce des règlements d’éligibilité, voilà donc que l’International Board s’est fendu d’une ouverture. Il était temps: les grosses nations de l’hémisphère sud ont verrouillé les accès à la sélection en intégrant des iliens du Pacifique dans leurs équipes nationales de jeunes ou à 7, handicapant d’autant Fidji, Samoa et Tonga. Désormais, tous pourront retrouver leurs racines en passant par le rugby à 7 et les qualifications pour les Jeux Olympiques de Rio 2016.
Certains internationaux bloqués à trois ou quatre sélections sous les maillots australiens et néo-zélandais vont revenir sur le devant de la scène. Ce n’est pas obligatoirement une bonne nouvelle pour le 7 de France qui va devoir affronter une concurrence plus relevée mais c’est sans aucun doute un coup de boost pour les nations du Pacifique. Sauf à ce que la FFR décide rapidement de constituer une liste des « étrangers », comme le Samoan de Montpellier, Alex Tulou, et l’Australien de Clermont, Brock James, susceptibles d’intégrer l’équipe nationale à 7 puis à XV.
Il faut s’attendre à ce que la définition d’étranger subisse, dans les deux saisons à venir et donc à moyen terme, un changement radical. L’année Camus est passée mais je suis persuadé qu’on trouvera bien un moyen d’associer le romancier de l’humanisme à cette avancée. Il n’y aura bientôt plus qu’une nationalité : celle du terrain. Et se faire à l’idée que l’origine d’un être humain n’aura pas plus d’importance que la couleur de ses yeux.
Représenter un maillot, c’est porter une certaine idée de l’équipe. Et réciproquement. Le sport ne fera donc très bientôt que suivre les pas d’autres secteurs d’activité, comme la recherche ou l’économie. On le sait et parfois on le regrette, les plus grands cerveaux français phosphorent aujourd’hui à l’étranger, comme cet économiste, le nouveau T.P. (Thomas Piketty, pas Tony Parker), reçu à la Maison-Blanche par les conseillers du président Obama et son Secrétaire au Trésor pour essayer de voir comment il est possible d’enrayer les inégalités. A noter que Michel Sapin, le ministre français des Finances, n’a pas encore trouvé le temps de lire une seule des 900 pages de cet ouvrage intitulé « le Capital au XXIe siècle », devenu référence.
Le talent n’a pas d’âge, pas de nationalité, pas de couleur. Les meilleurs, sortis d’ici ou venus d’ailleurs, se mêlent, se joignent, se lient pour une même cause, celle d’un club, d’une idée, d’un projet. Ils s’expriment dans un langage commun, l’espéranto du rugby, ce jeu de mains et de sacrifice de soi. En juin, on a vu le XV de France en manquer, de jeu de mains et d’esprit de sacrifice, perdre sans réagir, s’enfoncer sans lutter, se faire étriller sans hurler. Que la concurrence, une fois les frontières définitivement tombées, réveille les endormis ne peut être qu’un aiguillon salvateur. En sport comme dans la vie, rien n’est acquis, tout s’obtient. Camus écrivait que l’homme est un luttant. C’est ici capital.
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