Glissement de terrain

Il ne s’agit pas seulement d’additionner les Toulonnais convoqués par Philippe Saint-André et son staff au stage préparatoire, fin septembre, de Marcoussis. Certes, c’est le premier réflexe et on monte à huit, désormais, après le forfait de Yannick Nyanga : Xavier Chiocci, Alexandre Menini, Guilhem Guirado, Romain Taofifenua, Virgile Bruni, Sébastien Tillous-Borde, Mathieu Bastareaud et Maxime Mermoz. Sept sur trente. Un quart du groupe France, à la louche.
C’est autant que de Clermontois et de Toulousains réunis ; c’est deux fois plus que de Montpelliérains, de Parisiens, de Franciliens et de Castrais. Le 21 septembre, en suivant les chiffres, Toulon est devenu l’épicentre du rugby français. Et encore sans celui, il y a peu, que PSA considérait comme son chef d’orchestre ci-devant grand absent de la liste des trente de la convention FFR-LNR, à savoir Frédéric Michalak, blessé.
Dans le groupe des supervisés par le comité de suivi émargent aussi le talonneur Jean-Charles Orioli et le deuxième-ligne Jocelino Suta. Dans celle des étrangers potentiellement sélectionnables fournie le 12 septembre, Steffon Armitage et David Smith. Au total, comptez les treize. On pourrait même pousser plus loins en signalant que Fabien Barcella, Sébastien Bruno et Nicolas Durand, quelques sélections, peuvent dépanner au cas où, vraiment…
On rigole, mais pas tant que ça. Le sujet mérite considération puisqu’il alimente les conversations et les unes. Enfin quoi, voilà un club qui cristallise beaucoup de critiques – parce que son président recrute depuis 2006 et Tana Umaga des stars par paquets de six chaque saison – et se retrouve d’un coup d’un seul au cœur du dispositif tricolore, vivier dans lequel puise le XV de France, source de renouvellement et de concurrence pour un effectif de conventionnés qui menaçait, depuis la tournée catastrophe de juin en Australie, de s’endormir.
Un glissement de terrain s’est effectué, comme il s’en produit régulièrement depuis 1892. De Paris, l’épicentre du rugby français a dérivé vers Bordeaux puis vers Toulouse. Dans les années cinquante, il se situait en Bigorre, à Lourdes plus exactement. Dans les années 70 et 80, on le trouvait en Languedoc, sur l’axe Béziers-Narbonne. Puis ce fut le retour à Toulouse en 1985. Jusqu’à aujourd’hui.
Mais voilà, un seul trois-quarts de la ville rose dans le groupe des trente stagiaires, en l’occurrence l’ailier Yoann Huget, c’est du jamais vu depuis l’avènement au centre de Denis Charvet et d’Eric Bonneval. De dis-je, c’est un séisme ! Les maladresses, les mauvais choix et la frilosité des attaquants toulousains ont fait, ces derniers temps, bouger les plaques ovales et, désormais, Toulon chevauche Toulouse.
Doubles champions d’Europe (2013, 2014), champions de France (2014) et deux fois finalistes depuis 2012, les Varois dominent. Et pas seulement avec leurs recrues étoilées. Une jeune garde pointe le nez. Susceptible de rejoindre le XV de France. Aujourd’hui, Toulon possède tout : l’effectif pléthorique de qualité, le palmarès envié et rêvé, un public de feu à guichets fermés, les appelés dans le groupe France. Qu’est-ce que le RCT peut envisager de mieux ?
Ah, si… Il lui reste à conquérir le pouvoir politique. De 1966 à 1990, il fut solidement planté à Agen et tenu par deux piliers, Albert Ferrasse et Guy Basquet. Après un passage à Tarbes (Bernard Lapasset, 1991-2007), il est depuis six ans au Pays Basque (Pierre Camou, Serge Blanco). Mais pour combien de temps, encore ?
On prête à Bernard Laporte l’envie de se porter candidat à la présidence de la FFR. Champion de France avec Bègles comme joueur (1991), entraîneur champion de France avec le Stade Français (1998) et Toulon (2014), champion d’Europe aussi (2013 et 2014), sélectionneur national (2000-2007), secrétaire d’Etat aux Sports (2007-2009), Bernie le Dingue, avec ses casseroles et ses trophées, n’est pas si fou que ça. Sa carte de visite impose le respect, ses saillies un peu moins. Lui le Tarnais, fils de communistes et ami de Sarkozy, fera-t-il pencher encore davantage l’ovale vers le Var ?
En attendant, n’en déplaise à ceux – et j’en ai fait partie, je l’avoue – qui regrettaient que le RCT et sa phalange dorée venue de l’hémisphère sud phagocyte le Top 14, déboussole le marché des transferts et affole les compteurs bleus, Toulon tient désormais, centre de formation y compris, tous les atouts dans sa main. Il mène le jeu et c’est parti pour durer. Félix Mayol aurait rajouté : «un point, c’est tout !»

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