C’est bon d’avoir vingt ans. Le bel âge. En 1994, Montpellier traçait son chemin vers l’élite de façon très «british», en préservant ce qu’il était possible de définir comme un style de vie. Aujourd’hui, après une poignée de défaites, six pour être exact, série en cours depuis la blessure de son ouvreur international François Trinh-Duc, le club héraultais alimente la chronique d’une crise qui dure. Dur, dur…
Aujourd’hui, on parle «d’étranger» pour nuancer (?) la nationalité hors souche d’une recrue. Il y a vingt ans, on évoquait avec poésie un pack esperanto. A l’heure de la troisième mi-temps dans le club-house qui faisait face au stade Sabathé, «Ici, c’est l’Europe !», riait le pilier Jean-Jacques Sauveterre en se tournant vers ses coéquipiers, Boudaoui, pilier fils de harki, Ivoski le Russe, Chenery l’Anglais, Mandic le Croate…
Il y a vingt ans, Montpellier, qui passait du Groupe B au Groupe A, ne comptait pas sur des stars pour exister. Les joueurs un peu connus du grand public, et encore, s’appelaient Cances, Sauveterre et Grosperrin. Autour d’André Quilis, docteur es-rugby (le premier en France), un trio de jeunes éducateurs – Pascal Mancuso, Jean Cazaute et Jeff Escande – venait de prendre le relais.
L’élite ! Montpellier en rêvait déjà en 1994. En être ou pas, telle était sa question… Le président de l’époque, Daniel Donadio, y répondait en ces termes : «Ce n’est pas chez nous qu’il faut venir chercher les grosses primes de match.» Montpellier, métropole du sud, misait sur sa surface économique : «La grande ville, c’est la passion, la formation et la réflexion. Si nous sommes qualifiés dans le Top 16, ça voudra dire que nous avons donné une réponse constructive aux questions posées par l’évolution de cette discipline.»
L’année suivante, le rugby devenait professionnel. L’Europe des frères du pack dont parlait Sauveterre est aujourd’hui une autre réalité que celle qu’il imaginait il y a vingt ans. C’est une Coupe. Et cette compétition propose vendredi le déplacement de Montpellier à Bath, suivi de la réception de Toulouse, le 20 décembre, à l’Altrad Stadium, en Top 14. Voilà Montpellier là où il rêvait d’être. Mais à quel prix ? Qu’a vendu ce club pour y parvenir ? Que va-t-il perdre en continuant de s’incliner ?
Autant de questions qui font écho aux insultes prononcées à Welford Road en conférence de presse, l’autre dimanche, par un joueur à l’encontre de son ancien club (L’Italien de Toulon Castrogiovanni, à Leicester). Y aurait-il donc quelque chose de pourri au royaume d’Ovalie ? Ce n’est pas obligatoirement nouveau. Il y a vingt ans, presque jour pour jour, Jacques Fouroux démissionnait de la FFR pour franchir le Rubicon (France Rugby League, puis PSG XIII), expérience treiziste de très courte durée, après avoir insulté Didier Codorniou lors de la Coupe du monde 1987 – c’était du quinze – et là aussi en conférence de presse.
En fait, à travers ce texte, et pour avoir regardé de loin l’actualité ovale pendant deux semaines, si ce n’est dans ses grandes lignes (la plupart du temps des lignes de résultats secs) je m’interroge. Que sera le rugby dans vingt ans si l’on considère la vitesse à laquelle il : 1) évolue, 2) bouge, 3) avance, 4) se transforme, 5) mute… ? – 6) se fourvoie ; 7) dégénère ; 8) se décompose…, ajoute Lionel, internaute.
Pour finir sur une bonne note, le salon du livre de La Rochelle, le week-end dernier, m’a permis de mettre un visage sur un habitué de ce blog, Bernard «Landais», lequel est aussi un grand lecteur «classique», c’est-à-dire papier et ouvrages brochés, doublé d’un homme affable et souriant, ce qui pouvait s’envisager à la lecture des commentaires qu’il postait ici. Tout ça pour dire que je sens poindre chez d’autres – pas tous, heureusement – la maladie du supporteur, c’est-à-dire l’aveuglement. A ceux-là je conseille la lecture de José Saramago. Ou bien, vers d’autre sites mieux adaptés, le départ volontaire.