Le Big Banc

Pendant que la Nouvelle-Zélande prépare déjà la relève, c’est-à-dire la composition de l’équipe nationale qui attaquera le Four Nations 2016 au lendemain du Mondial, les sélectionneurs tricolores viennent tout juste de finaliser leur banc des remplaçants dans le Tournoi actuel. On a les règnes qu’on mérite. Ceux qui gouvernent le bateau bleu tentent de nous rassurer en alignant du poids en fin de match, guidés par le courant alors qu’ils devraient tenir un cap.
Mais voilà au moins un truc qui fonctionne en équipe de France : le banc des remplaçants. Encore que ce soit bizarre de commencer par la fin, de construire le garage alors qu’on n’a pas posé la moindre fondation ; mais, au pire, on peut se mettre à l’abri en attendant la fin des intempéries. Cela dit, vous je ne sais pas, mais moi si j’avais à faire construire une maison, je n’engagerais pas un architecte dont la première préoccupation consisterait à protéger ma voiture.
Après trois ans, le XV de France n’a toujours pas de fond de jeu, rien d’identifié en tout cas. On remarque même qu’il est bien meilleur sans ballon qu’avec, le comble pour une nation qui a considérablement amélioré l’attaque depuis Jean Dauger jusqu’à Maxime Mermoz, en passant par les frères Boniface, Maso-Trillo, Codorniou-Sella, Blanco-Lafond, Charvet-Bonneval, Castaignère et Jauzion. Sans compter qu’il n’a pas de buteur et pas d’animation offensive. Juste une organisation défensive, ce qui est toujours le plus facile à mettre en place quand on entraîne.
On remarquera qu’il en était de même sous l’ère Marc Liévremont ; ça n’a pas empêché les Tricolores d’aller en finale de la Coupe du monde 2011 et de faire taire Auckland. Je sais, on se rassure comme on peut… Au moins, cette génération (Servat, Nallet, Bonnaire, Harinordoquy, Yachvili, Rougerie) avait de l’orgueil. Elle pouvait se regarder dans le blanc des yeux, se dire ses vérités – et il y en avait plus que quatre cette année-là, en Nouvelle-Zélande – et boire des bières jusqu’au bout de la nuit pour mieux vider son sac.
Aujourd’hui, on a l’impression qu’il n’y a pas de bières, pas de sac, pas de caractère et pas de vérités. Rien que des récitations apprises par cœur. On leur dit de défendre pendant vingt minutes pour éviter d’encaisser trop de points face à l’Irlande attendue déchaînée ?  Ils ont bien compris le plan et évitent consciencieusement de se passer le ballon quand il leur échoit. Puis ils attendent que le big banc se produise pour commencer à jouer.
Les nouvelles stars ? Elles ont pour noms Uini Atonio, Vincent Debaty et Romain Taofifenua. Joueurs de poids, ils sont au XV de France ce qu’un Deus ex-machina est à une pièce de théâtre mal ficelée. Ils pèsent dans le jeu quand tout semble compromis. Ce twist, il faut au moins le mettre au crédit de Philippe Saint-André. En 2007, Bernard Laporte avait Sébastien Chabal et jouait de son effet. PSA, lui, officialise le rugby à XXIII. Ce cache-misère permet à une défaite de devenir encourageante.
Et maintenant qu’apprend-on ? Que le seul demi-système qui fonctionne risque d’être désossé comme on retire les plaques d’acier de la coque d’un navire échoué ? Aligner d’entrée Debaty, Kayser et Atonio, Taofifenua et Parra, Talès et Lamerat ? Casser la fragile dynamique d’une équipe qui doute de tout, y compris de son ombre ? Donner leurs chances aux morts de faim ? Bouleverser l’équilibre titulaires-remplaçants avant de recevoir le Pays de Galles, samedi 28 février, au Stade de France ?
Que PSA, qui assurait mi-janvier avoir son équipe-type et son banc, remette en cause le peu d’assurance dont il dispose depuis trois ans, n’a pas à nous inquiéter outre mesure. Il l’a dit, seule la victoire finale en Coupe du monde est un objectif, le reste consiste à passer du mieux possible entre les gouttes. Le Goret, formé à l’école Berbizier, ne pense qu’à ça : sept semaines de préparation physique. «Entre juillet et septembre, espère-t-il, nous allons pouvoir gagner 20 à 25%. Pendant ce temps-là, nos adversaires, qui passent entre quatre et six mois ensemble chaque année, ne pourront grignoter que 2 à 3%…»
Il dit, surtout : «Si nous voulons être champions du monde, il faudra qu’on place quatre ou cinq joueurs dans un XV mondial.» Sachant que pour le XV de France la saison internationale s’arrête à la fin de ce Tournoi (on ne comptera pas les trois matches amicaux d’aout et de septembre), ça fait quand même un peu court pour voir éclore des talents ou confirmer des potentiels au «très, très haut niveau». Franchement, je ne vois pas. Dulin, Le Roux, Maestri, Atonio ? Il me semble que là, nous ne faisons pas le poids.

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