A points nommés

1359 mètres parcourus ballon en mains, 29 franchissements, 42 minutes de jeu effectif, 312 passes, 12 essais, 90 points. Angleterre-France 2015 prend place dans le Tournoi au titre de Crunch des records. Mais il serait injuste de ne pas associer les autres nations à ce festival de cannes. Samedi de folie en tous points (221 points et 27 essais en trois matches, là aussi records) qui tient d’abord de la surenchère. Et la première offre fut galloise.
Samedi, à Rome, les coéquipiers de Sam Warburton pensaient avoir fait le plus beau en s’imposant 61 à 20. Ils étaient virtuellement en tête du classement au bénéfice de la différence de points. Par ricochet, la France n’avait plus aucune chance de terminer première. L’Irlande éleva le jeu pour l’emporter 40-10 à Murrayfield, obligeant les Anglais à se lancer dans une orgie de percées, de relances et de contre-attaques pour espérer décrocher à la fois les Tricolores à Twickenham et le titre.
Au desk de lequipe.fr, d’habitude enclin à célébrer chaque but de football, les encouragements succédaient aux cris de déception, et les journalistes se retrouvèrent debout, signe que cette équipe de France ne laisse personne indifférent. Comme ailleurs, se partageaient en parts inégales ceux – les plus nombreux – qui appréciaient les 35 points inscrits et ceux qui regrettaient les 55 points encaissés. Mais comme dit je ne sais plus quel politique, «à moitié vide ou à moitié plein, au moins il y a de l’eau dans le verre»…
Depuis février, les clones de Marcoussis sont tristes et, surprise, Thierry Dusautoir et ses coéquipiers ont fini par nous offrir un délire inoubliable. Et ceux qui eurent la chance et le bonheur de vivre in situ ce moment de pure folie – comme ceux qui se trouvaient à Twickenham en 1991 pour l’essai du siècle – le placent au meilleur endroit dans leur musée ovale personnel.
Inclus dans un samedi sans répit, ce Crunch cuvée 2015 nous réconcilie avec le rugby professionnel. Quand les joueurs veulent s’amuser, se lâcher, tenter et oser ; quand la pression et les mauvaises excuses disparaissent, reste l’essentiel, à savoir le plaisir. A l’envi. Comme par hasard, les passes trouvent des mains et réciproquement. Les essais se multiplient. Et qu’on ne vienne plus ratiociner en regrettant les nouvelles règles : quand les joueurs le souhaitent, ils peuvent faire du rugby le plus beau des sports, aujourd’hui comme hier.
Depuis le début de l’année, sur ce Côté Ouvert, nous appelions de tous nos vœux à la joie de jouer. Samedi dernier, elle nous a été donnée, cette communion… On espère juste qu’elle demeure. Ce serait dommage que tant d’élan soit cloué d’ici le mois de septembre, que les passions enfin partagées selon Saint-André ne terminent comme un coup de pied tirebouchonné, c’est-à-dire en mauvaise parabole.
Avant le match, alors que nous échangions sur l’esprit du jeu, mon ami Jean Guibert (ancien coach de Tyrosse et de Dax) me fit part de son expérience concernant les jeunes joueurs en formation : «Quand on place quatre défenseurs face à eux, ils voient un mur alors qu’ils pourraient aussi visualiser cinq intervalles.» Quelques instants plus tard, dans les couloirs de L’Equipe 21, je faisais part de cette réflexion à Christophe Dominici, avant de lui demander ce qu’il percevait quand il jouait. L’ancien ailier du XV de France me fit la réponse suivante : «Je ne voyais pas les joueurs ni les intervalles. Je voyais l’espace derrière eux.»
Savoir qu’on va franchir. Se projeter. Traverser l’obstacle. Imaginer le possible. Pour cela s’adapter. Ça n’a pas changé depuis Jean Dauger : la passe est un viatique, une conviction à partager. Il reste toujours de nouveaux chapitres à écrire quand on veut bien commencer par : il était une foi. Croire en soi, regarder autour pour former ce tout qu’on appelle une équipe, et transmettre.
Cela fait quatre ans, maintenant, que je tiens bon contre vents de médisance et marées d’insultes en affirmant que PSA et son staff savent où ils vont (cinquante minutes de temps de jeu effectif), pourquoi (être champions du monde) et comment (grâce à deux mois d’intense préparation, incluant aussi la dimension mentale). Il leur restait juste à savoir avec qui. Samedi, à Twickenham, comme la semaine d’avant à Rome, beaucoup de joueurs ont marqué des points. Il était temps. Rendez-vous maintenant le 19 mai, pour savoir si Szarzewski, Picamoles, Harinordoquy, Trinh-Duc et Médard monteront dans le wagon des trente-six.
PS : merci à toutes et tous de vous présenter avec au moins vos vrais prénoms et un mail identifiable.

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