Pour prix de l’essence

Le pensum de samedi face à l’Ecosse le confirme : il est grand temps que la préparation se termine, et que ce XV de France bascule dans la compétition. D’ailleurs, on peut égrener le compte à rebours avec les doigts. C’est bon signe. Car France-Ecosse, c’était le match de trop. Une heure durant, des Tricolores soucieux d’éviter la blessure sont montés dans un train de sénateurs. Ils avaient lu quelques heures plus tôt sur leur iPhone que les Gallois Leigh Halfpenny et Rhys Webb étaient sortis du Millennium l’un avec le genou et l’autre la cheville dans la boîte à gants. Et craignaient sans doute, en mettant trop d’engagement dans le combat face aux Calédoniens, de regarder à leur tour le Mondial devant leur écran plat.
Pour peu qu’on soit licencié rugby, on pouvait se procurer un billet pour cinquante centimes d’euros sur le site d’une FFR soucieuse de remplir le Stade de France. On ironisera – c’est toujours très facile et à la mode – en indiquant que pour une fois le contenu du match correspondait au prix du ticket d’entrée. Rien à voir, puis une combinaison qui déboucha sur l’unique essai bleu. On remarquera qu’à cet instant, Rémi Talès officiait à l’ouverture. De quoi lancer deux débats : sur le sens du mouvement – deux passes intérieures ; et sur la meilleure charnière possible pour ce XV de France.
Franchement, ce n’est pas l’essentiel. L’important est ailleurs. Dans le refus des Ecossais de s’embarrasser d’un match nul qui aurait pourtant si bien définit le contenu de cette rencontre surnuméraire. En allant chercher la victoire au-delà du temps réglementaire, ils nous interrogent sur la signification du rugby. Pour nous, c’est un jeu, ou une discipline. Dans le premier cas, les ballons filent à l’aile et la vie est belle. Dans le deuxième, ils restent au chaud et on s’ennuie ferme. En fait, le rugby est un sport. Et c’est sans doute par ce que nous passons à côté de ça que nous ne sommes toujours pas champions du monde.
«En rugby, nous ne les battons jamais. Mais de temps en temps, ils ne gagnent pas. Ça veut dire que tu peux l’emporter au score mais qu’ils ont une façon d’être qui est supérieure à la défaite.» Quand un crochet intérieur m’apparait utile, je relis cette formule de Jean-Pierre Rives (1). Le Blond y évoque les Anglais mais surtout leur état d’esprit. Celui que les Ecossais nous ont indiqué, samedi dernier, en ne tentant pas l’ultime pénalité. Leur défaite recèle un parfum de cricket. «Good game, chap. Well done, old sport».
Sport. Créé avec une once de légéreté pour faire du lien. Desport, variante de Déport, mot d’origine française vite incontrôlé signifiant amusement. Là, il faut plonger dans les écrits de Jacky Adole (2), à la rencontre des Ecossais. «Ils me donnent l’heureuse impression de ne pas vouloir tomber dans le même chaudron que les autres. Ils pratiquent modestement mais avec originalité un rugby directement issu de leur culture. J’ai plaisir à constater que, bien que battus quelquefois au score, les Ecossais ne le sont jamais au jeu tant ils donnent l’impression heureuse de s’amuser encore.»
On aime ce sport parce qu’en toute fin de partie, une pénalité jouée à la main nous ramène au prix de l’essence, quand tout indique qu’il faut botter. C’est sans doute ce à quoi pensait ce gaillard de William Webb Elllis en prenant la balle dans ses mains pour courir, au mépris des règles en vigueur au collège de Rugby il y a deux siècles de cela. Le rugby est un réseau d’abstractions et de paraboles, de quoi nous aider à cerner ce qui ne peut s’exprimer, écrivait-on. Un mythe actualisé à chaque percée. Ou bien tout simplement le socle du trophée.
D’Art et d’essais. Conversations avec Jean-Pierre Rives. Editions de La Martinière (2003). p.63.
Mon sac de rugby. Editions Atlantica (2002) p. 207.

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