La France n’est jamais parvenue à être sacrée championne du monde. Sept éditions que ça dure. S’ouvre la huitième, vendredi soir. Que faut-il pour enfin soulever Webb-Ellis ? J’ai demandé à Berbizier, Trillo, Maso, Skrela, Ntamack et Retière. Imaginez-les assis autour d’une table. Skrela se lance : «Comme toutes les nations arrivent préparées, c’est celle qui est le mieux armée psychologiquement qui gagne.» Trillo le suit : «Le mental fait la différence à quatre-vingt-dix pour cent. C’est lui qui te permet d’arriver là où tu veux aller.» Berbizier synthétise : «Dans un match, où tu lâches physiquement, où tu lâches tactiquement, où tu lâches mentalement.»
Concernant l’aspect mental, Jean Trillo complète : «C’est toujours le même scénario. Il y a toujours quelque chose qui merde. On peut l’expliquer par tel ou tel argument, mais où est la vraie raison ? » L’ancien béglais ajoute : «J’ai l’impression que sur les matches capitaux, on perd avant de rentrer sur le terrain. Tu commences par lâcher mentalement. Et après, ça dérègle la tactique et le physique. Une victoire, elle se dessine quand tu prends le dessus sur l’autre dans les aspects élémentaires du jeu et du comportement.» Premier break. Chacun commande à boire.
Un point commun réunit les différentes générations : la transmission. Ou plutôt son absence. «L’expérience des uns doit servir aux suivants», lâche Retière. Berbizier enchaîne : «Nous n’avons pas un cumul d’expériences. A chaque cycle, on repart de zéro. Les constats sont les mêmes, mais tu ne profites pas d’un acquis antérieur. Et s’il te manque toujours quelque chose à la fin, c’est à cause de cela.» Retière abonde : «Mon regret, c’est qu’on n’a pas eu de débriefing complet de l’ère Laporte. Avec Philippe Saint-André, nous ne l’avons pas fait entièrement car personne ne nous l’a demandé. Ça manque au rugby français. Il faudrait aussi qu’une partie du staff puisse continuer. Ça permettrait de maintenir le travail mis en place. Là, par exemple, Julien Deloire est resté et prolonge le travail de la préparation physique.»
La préparation physique : sans doute le point fort des Tricolores depuis 2008. Emile Mtamack acquiesce : «Aujourd’hui, avant ce Mondial, physiquement, les joueurs sont bien. Je les trouve très affutés. C’est important, l’affutage : c’est notre marque de confiance, à nous, Français. Car pour le reste, l’équipe de France est capable de mettre du jeu derrière, et de rester constante dans l’effort.» Pause café.
Trillo reprend : «Une équipe, c’est une alchimie qui te permet d’aller au bout du monde. Il faut se sentir bien ensemble. Et qu’est-ce que c’est «être bien» ? Gagner beaucoup d’argent, être exposé médiatiquement ? Je n’en suis pas certain. C’est immatériel. Et c’est ce qui te permet de faire des miracles.» Berbizier, sur un sujet qu’il aborde rarement : «L’affectif, c’est le ciment d’une équipe. Mais il faut savoir placer l’émotion au bon endroit. Ce n’est pas ce qui te fait bien jouer mais, à un moment précis, c’est ce qui te permet de faire la différence sur les autres équipes.» Skrela prolonge : «Un groupe comporte des joueurs qui ont été confrontés à toutes les formes de pression, qui ont vécu différents échecs en Coupe du monde. Il faut que ceux-là soient capables de tirer leurs coéquipiers vers le haut.»
Fataliste, Jo Maso lâche : «Tu peux avoir la meilleure préparation possible, le meilleur entraîneur du monde, si tu n’as pas les bons joueurs aux commandes, tu passes à côté de la plaque.» Retière assure : «Il faut qu’on assume tous le fait que la France est une grande nation de rugby. Et pourtant, on doute des qualités de nos joueurs. On a l’impression que ce sont les autres qui nous apportent des clefs alors qu’on a une telle puissance qu’on devrait être dans les favoris à chaque fois.» Trillo est d’accord : «Dans l’absolu, il n’y a aucune raison qu’on ne soit pas champion du monde. Tout le reste, ce sont des excuses.» C’est terminé. Derniers échanges informels. Chacun se retire. «Il n’y a pas d’explication à tout. Il faut l’admettre,» note Bèglais. La conclusion revient à Pierre Berbizier : « Il n’y a pas d’unité dans le rugby français. Cette Coupe du monde ne sera pas celle de tout le rugby français. C’est seulement celle d’un groupe. »
Rendez-vous samedi soir après France-Italie, ici même, pour un premier point d’étape. Et aussi sur mon blog perso, Comme Fou, pour ceux qui veulent ajouter au rugby d’autres ingrédients.