Une équipe, à de rares exceptions, ne fonctionne pas en autonomie. Ou alors pas longtemps. Pendant trois semaines, tout au plus. Et pour des événements particuliers. Comme le phase finale du Championnat, en ce qui concerne le Stade Français. Et encore Bernard Laporte, alors sélectionneur du XV de France, venait-il donner en cachette quelques conseils à ses anciens joueurs. Ou la phase finale de la Coupe du monde, version 1999 et 2011 pour les Tricolores. L’homme-clé, très souvent, s’avère être l’entraîneur.
En 1990, Bob Dwyer avait demandé à ses joueurs de sabrer le champagne à un an jour pour jour, heure pour heure, de leur sacre mondial, arguant que tout avait été préparé en amont, calibré, pensé, organisé. Et qu’il n’y avait plus qu’à gagner les matches. En 1991, l’Australie devenait pour la première fois championne du monde. J’avais suivi leur aventure depuis 1988 et le succès aussie à Strasbourg. Dwyer avait établi des relations de bonne intelligence avec ses joueurs, dans la plus grande sérénité. Et une bonne dose d’humour.
Après deux semaines de Coupe du monde 2015, le Pays de Galles, le Japon, l’Afrique du sud et l’Australie nous rappellent l’importance du coach, du manager, du technicien. Comment fonctionnent-ils, ces grands entraîneurs, Warren Gatland, Eddie Jones, Heyneke Meyer, Michael Cheika ? Avec quel leviers parviennent-ils à entraîner leurs joueurs ?
En traînant dans la salle de presse du Villa Park de Birmingham, samedi, j’ai retrouvé trois vieilles connaissances : George Gregan, François Pienaar et Sean Fitzpatrick. Nous avons longuement échangé autour d’un sandwich au fromage et d’un café transparent. Pienaar avouait à quel point il aimait cette équipe de France qui débarquait de nulle part et allait surprendre tout le monde ; à quel point il aimerait en être le capitaine. Il sentait, intuitivement, que les joueurs Français n’attendaient qu’une étincelle pour s’enflammer. Il aurait aimé leur transmettre. Ses yeux pétillaient en disant cela.
Il nous raconta comment, lorsque Kitch Christie, son entraîneur avec le Transvaal et les Springboks, subissait une chimiothérapie, s’était créé un lien unique entre eux. Une lien de confiance absolue. Quelque chose qui n’avait pas de mots pour être traduit. Pienaar et Christie échangeaient brièvement sur la tactique. Les grandes lignes, les tendances, quelques innovations. Christie pensait que la clé appartenait aux joueurs. Pienaar reconnaissait que ce lien entre le coach et lui était à part. Difficilement transposable dans un autre contexte.
Gregan, Fitzpatrick et Pienaar se rejoignaient sur un point : en poule A, Angleterre, Australie et Pays de Galles allaient perdre une fois chacun lorsqu’ils s’affronteraient. Et que les bonus feraient la différence. On verra samedi soir s’ils ont raison, les anciens champions du monde. En attendant, écouter leurs avis éclairés, les anecdotes qu’ils échangeaient, leurs regards sur tel ou tel joueur, comme par exemple sur Louis Picamoles, dont ils assurent qu’il sera l’une des révélations de ce Mondial, fut un de ces moments magiques que nous réserve souvent la Coupe du monde et que je voulais partager avec vous.
Eddie Jones, Warren Gatland, Heyneke Meyer et Michael Cheika ont aussi des choses en commun. Ils croient en leur système de jeu. Il faut entendre Eddie Jones raconter comment il a expliqué aux Japonais la façon dont ils battraient les Springboks, à Brighton. Puis Heyneke Meyer assurer à ses joueurs que s’ils suivaient son plan ils vaincraient sans difficulté les Samoans à Birmingham. Warren Gatland, lui, après avoir compté les blessés et rappelé en catimini quelques internationaux hors groupe pour assurer l’opposition lors de la dernière séance tactique collective de terrain avant d’affronter l’Angleterre, sut insuffler assez d’énergie à son équipe, alors décimée, pour arracher une victoire époustouflante à Twickenham.
Reste Michael Cheika. Lui, il ne dit rien. Il bosse dans son coin. Seul coach au monde à avoir remporté la Coupe d’Europe et le Super Rugby, il reconstruit doucement mais sûrement une équipe wallaby traumatisée, désunie, orpheline. Samedi, il saura enfin s’il a bien travaillé. Avant cela, jeudi, à Milton Keynes, le XV de France passera lui aussi sa première vraie épreuve du jeu. Nous aurons donc de quoi échanger, nous aussi, à la lumière de ces rencontres.