Lors du Mondial 2015, son troisième et dernier, le capitaine des Tricolores a eu du mal à faire passer son message à quelques-uns de ses partenaires. Message d’ardeur, de labeur, de sueur, d’abnégation, message d’engagement sans frein, de fierté à partager, de plaisir à donner. Et pas seulement à prendre, comme on l’entend trop souvent à tort.
Avec son retrait, c’est une génération qui s’efface. Celle qui va de Chabal à Szarzewski, du brun chevelu au blond chevalier, en passant par Médard, Clerc, Heymans, Mas, Papé, Nyanga, née avec lui. Une équipe de France entrée en 2007 dans son histoire à Cardiff un soir de quart, puis victorieuse des All Blacks à Dunedin en 2009, battue de peu en finale du Mondial 2011 et brisée quatre ans plus tard.
Les All Blacks ont marqué l’histoire tricolore de Thierry Dusautoir comme jamais équipe, nation, culture n’ont été associées à ce point à un seul joueur. Il en gardera, et nous aussi, des bleus à l’âme, des fiertés et des douleurs, de quoi graver l’épique et l’épopée dans notre imaginaire à une époque, la nôtre, plutôt avare de ce genre d’aventure à plusieurs autour d’une idée force.
Autant sur le terrain Jean-Pierre Rives, avec lequel j’échange avec bonheur, était un capitaine fracassé, autant Thierry Dusautoir fut un capitaine fracassant. Si l’un est capable de sertir des aphorismes comme on trempe son sachet de thé dans l’eau chaude, l’autre reste chiche de ces sentences qui traversent les décennies et se transmettent entre fines bouches.
Une voix douce et une voie dure. Contraste saisissant quand l’homme devient joueur, quand le discret atomise. Respectueux , Dusautoir devenait Titi le maillot enfilé, comme s’il entrait dans une autre peau. Que garder de lui pour l’avoir côtoyé ? Un sourire qui pouvait irradier, le regard qui scrute avant de pétiller, des manières élégantes, raffinées presque. Et des mots choisis. Rares mais précis. Taillé brut dans le roc mais poli. Toujours poli.
Thierry Dusautoir quitte le XV de France, Marcoussis, le Tournoi et les tournées sans regret, visiblement. Il emporte un record, 56 capitanats, autant dire un sommet qui semble inatteignable aujourd’hui pour celui qui prendra la suite, soit sept saisons pleines à la proue d’une équipe qui semble désormais devoir être composée de joueurs qui n’en font qu’à leur tête, si l’on en croit le débrief du Mondial passé.
Il faut parfois du temps pour se rendre compte qu’on a croisé un homme rare ou un joueur d’exception, un être qui agrège le meilleur de tous. Jean Prat, Mias, Crauste, Moncla, Walter Spanghero, Dauga, Christian Carrère, Rives, Dintrans, Dubroca, Berbizier, Blanco, Tordo, Roumat, Galthié, Sella, Benazzi, Pelous, Ibanez, Nallet… D’entre ses égaux, Thierry Dusautoir est le premier monté au plus haut, jusqu’à la lumière, sans s’aveugler, sans vouloir nous éblouir, ni se brûler les ailes. Il redescend aujourd’hui en évitant les confidences de trop, à demi-mots, sans rien attiser, laissant ce qu’il a vu et entendu à l’endroit qui sied : là-bas, dans le feu du jeu.
Je m’interroge : quel est ce glissement de terrain qui a emporté ses derniers mots, ce malentendu, ces non-dits ? Pourquoi une partie de l’équipe de France, qu’il commandait par l’exemple plus que par le verbe, n’a-t-elle pas adhéré à son discours durant l’été et l’automne, lequel reprenait les vertus simples de ce jeu, quand il ressemble à la vie ? Cette fracture a de quoi nous inquiéter.