Exit la Coupe d’Europe et retour au Top 14. Ainsi va le calendrier, tranché comme un saucisson. La preuve, tout de suite après surgiront deux semaines de Tournoi. Changement de niveau, de ton, de jeu et aussi et surtout d’arbitrage, qui est au rugby ce que la baguette est à la direction d’orchestre.
L’actualité nous incite à nous méfier des changements de température. Dans l’arbitrage, un coup de froid domestique est vite arrivé, même si Pierre Albaladejo, avec lequel j’ai passé un long moment ovale et tauromachique il y a quelque temps, remarque que l’arbitrage français était à l’heure actuelle le meilleur au monde. Il faut bien que nous soyons champions de quelque chose, dans ce sport.
L’ancien directeur de jeu, Joël Jutge, au cœur des réflexions de la World Rugby, nous indique que l’hémisphère sud revoit son utilisation de l’arbitrage vidéo en n’utilisant le super ralenti que dans l’en-but. Aussi avions-nous échappé de peu au « challenge d’équipe », à savoir la possibilité pour un entraîneur de demander à sa convenance et une fois par mi-temps un arbitrage vidéo. Comme s’il n’y en avait déjà pas assez.
Marie en 1965, Domercq – pour l’inoubliable Barbarians – Nouvelle-Zélande de 1973 – Palmade, Hourquet… Rarement évoqués dans l’histoire ovale, les arbitres de qualité sont pourtant, comme les grands joueurs, des ambassadeurs dont il reste trace. Sans remonter à Muhr et Rutherford, Amand, Brutus, Dedet et de Coubertin, il y avait au temps de la balle et des crampons en cuir une noblesse à diriger à la façon d’un chef d’orchestre.
Robert Parienté, ancien directeur de la rédaction de L’Equipe, érudit passionné de littérature et de musique, a rédigé en 2004 une somme sur la direction d’orchestre intitulée « la Symphonie des Chefs », témoignage captivant sur l’art d’interpréter une œuvre. En lisant régulièrement quelques pages de cet ouvrage, je mesure à quel point le rugby s’éloigne de sa vocation première en utilisant l’arsenal audiovisuel pour juger quand il ne s’agit, pour un sportif, que d’accepter une décision.
En 1935, un Polytechnicien, deuxième-ligne, champion avec le Racing club de France, devint responsable de la commission des arbitres. Lors de sa prise de fonction, il tînt à ses coreligionnaires un discours saisissant, dont voici quelques extraits : « Un seul facteur compte : le caractère. Dominez-vous. Vous êtes sur le terrain pour que la partie se déroule normalement, et non pas pour prouver votre science. Vous devez voir non seulement le porteur du ballon et son entourage immédiat, mais le jeu dans sa totalité ; anticiper le développement possible de la phase en cours, prévoir les conséquences d’une faute ou d’une erreur de jeu, apprécier les intentions et les motifs du joueur. Il faut que tout cela soit devenu presque intuitif chez vous, et que votre décision et votre coup de sifflet, s’il y a lieu, soient pour ainsi dire simultanés. »
Et d’ajouter : « Un dernier conseil : il n’y a pas d’arbitrage large et d’arbitrage serré. Il n’y a pas d’arbitrage de parties de championnat et d’arbitrage de parties amicales. Il y a l’arbitrage tout court. » Ceux qui font avancer les règles du rugby dans l’ère électronique seraient bien inspirés de relire cette profession de foi écrite par Jacques Müntz, celui-là même qui, d’un trait de génie, sut définir le rugby en une formule lapidaire : « Un jeu d’échecs joué à toute allure. » Quelle pièce en serait l’arbitre ?