Land of my Fathers

Après les courts succès d’estime et d’estocs mais pas encore de taille contre l’Italie et l’Irlande, se profile l’essentiel au Principality. De quoi baptiser le XV de France dans ce Tournoi ouvert à six vents mais fermé, vendredi, sous le toit de ce qui reste à jamais l’Arm’s Park, même renommé ad lib ; ou du moins son âme qui chante et vibre encore.
Ce rugby commence à la mine et rebondit par les ailes, s’ouvre au pub et se termine à l’Angel Hotel, jeu de vallées et de chœurs. Il va courir comme un étalon. Il suffit de consulter les archives pour trouver trace de défaites à Cardiff alors même que le XV de France se présentait en force. La dernière déconvenue en date ? 2014. Deux succès et le germe d’un Grand Chelem dans les esprits. N’a poussé qu’un fiasco.
Souvent dans le Tournoi les Gallois sur leur sol, devant leur public, trouvent la clé des chants, et font passer leurs adversaires de terreurs à erreurs. Ceux de 70 s’en souviennent encore : ils avaient beau marquer à coups de coniques leur supériorité d’homo packus, ils n’ont jamais pu l’emporter à Cardiff. On soulignera d’autant la performance de l’équipe commandée par Thierry Dusautoir, en 2010, ouvrant au forceps la gueule du dragon pour en sortir un mâle Grand Chelem.
Je vous laisse ce champ d’expression, ami(e)s Branquiblogueurs, pendant la semaine d’affiche rouge. Pour ma part, je vais me décaler vers Cardiff en compagnie de mon père et de mon frère. Old school, la malle riche de conserves et de nectars, direction l’ancestral pour y fêter les quatre-vingt ans de celui à qui je dois tant, joueur, arbitre et dirigeant à Ribérac, La Rochelle et Puilboreau.
Cardiff, c’est une partie de mon histoire ; les premiers matches du Tournoi en noir et blanc, 1966, j’avais sept ans, une passe perdue dans le vent. 1986, en février, mon premier reportage Cinq nations. Visite du musée, avec sa magnifique collection de pré-impressionnistes, puis Galles-Ecosse le lendemain. Hen Wlad Fy Nhadau me rappelle qu’il me fut impossible d’écrire la moindre ligne durant les quinze minutes qui suivirent l’hymne.
Pour la première fois je vais lâcher prise, revenir aux sources de ma propre histoire, succession, filiation, transmission. Pour cela j’aime ce sport, supplément à la vie ; parfois la plus profonde, puisque épidermique, grégaire et fusionnelle, de ses métaphores. Etat d’esprit préhensible, naturellement à notre portée pour peu qu’on le veuille. Alors le trio part en voyage y jouer sa coda.
Bien sûr, il y a l’heure de Guirado, parce qu’on achève bien les chevaux, et une composition bleue qui fera couler l’encre en rade ; comme les regrets d’une journée de Championnat tronquée, mal embouchée, déplacée. Tel est notre rugby d’en transe, professionnel depuis 1920 mais géré par des amateurs, terre d’accueil généreusement tournée vers l’ailleurs mais qui oublie de regarder ses enfants percer. J’en lis qui fulminent pour leurs clubs mais à l’heure des grandes explorations le regard scrute l’horizon, pas leurs pieds.
Le rugby est affaire de vista. Samedi, les ex-All Blacks Carter et Rokocoko à Grenoble, Slade et Smith nous l’ont montré et démontré encore une fois, s’il en était encore besoin. Les deux matches sur mes écrans télé s’allumèrent au même moment après soixante-dix minutes de jeu : appel de Conrad, et Colin dévalait dans l’en-but héraultais ; puis Dan trouvait Joe au rebond à Grenoble. En rugby, la vitesse de décision et d’exécution n’est jamais dépassée. Puissent les Bleus vendredi aller au-delà leurs limites.

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