Chanson de geste

Le trait des plus beaux desseins collectifs n’est souligné que par l’excellence individuelle. Vendredi soir, à Cardiff, la victoire galloise rappelle une fois de plus qu’une équipe n’a de poids qu’au travers des performances de ceux qui la composent. L’inverse est rarement vrai car l’essence du sport collectif est un voyage aller entre la performance de chacun et les repères partagés.
Pour la première fois depuis plus de trente ans, je me retrouvais donc dans les travées du Principality Stadium au milieu des supporteurs français, et non en tribune de presse. Frigorifiés sous le toit ouvert, nous avions, avec mes voisins, identifiés trois secteurs-clés qui permettraient aux Tricolores d’éviter la défaite face aux Gallois : la défense dans le jeu au sol, la conquête directe et la prise du milieu du terrain. Mon père Jean-Claude,  fin connaisseur des choses ovales, avait de son côté émis une réserve: elle concernait la justesse technique.
L’entame du match lui donna raison. Les chants gallois ne montaient pas encore, il n’y avait pas eu de ruck, de touche, de mêlée et de percussions, que le XV de France avait déjà perdu la bataille du geste. Trois ballons à la retombée et trois cagades ; deux passes mal ajustées, un ballon relâché, un coup franc tapé directement en touche…  Des erreurs de cadets qui nous mirent mal à l’aise. Et comme le pays gallois sait boire, immédiatement la pression fut versée devant l’en-but français.
La direction que prend le XV de Novès se précise depuis trois matches autour d’une opiniâtreté communicative qui fait plaisir à voir, mais sa composition apparait trop fragile pour résister à l’épreuve du Celte sur ses terres. Trop de mouvements erratiques, d’attitudes approximatives, d’erreurs individuelles soufflent une flamme que la meilleure volonté du monde ne parvient pas à entretenir.
Défense, touche et mêlée permirent d’éviter une trop lourde défaite, points positifs qui ne sont pas à jeter dans la rivière Taff qui longe la tribune de presse. Pour autant, ces secteurs n’offrent pas de bonus offensif. Point de victoire sans efficacité, opportunisme, vista, éclairs… Réciter systématiquement des ballons portés derrière pénaltouche ne fera pas avancer la cause du XV de France qui traverse depuis quelques temps une mauvaise passe.
Le XV de France mise sur son banc pour inverser le cours d’un destin contraire. Ce fut le cas contre l’Irlande et là encore face au Pays de Galles. Une option intéressante, pourquoi pas, à condition que personne ne se blesse. Médard et Chouly sortis, les Tricolores terminèrent leur rencontre avec le demi de mêlée Bézy à l’arrière et le talonneur Chat troisième-ligne aile. Après avoir croisé Mar de Rougemont dans un passage du centre-ville, ça rappelait la charge héroïque de 1997 à Twickenham – et après tout qu’importe le poste quand on a l’ivresse -, mais l’efficacité en moins.
La frustration de Guy Novès s’explique. Dominée outrageusement en première période, son équipe  de France n’était menée à Cardiff que de trois points à la pause. L’adversaire s’était nourri au score d’erreurs et de fautes tricolores – signalons pour mémoire celles de Jedriasak, Danty, Goujon et Plisson – avant de subir à son tour, éreinté, percuté, mâché.
La nôtre, de frustration, était aussi forte, placés que nous étions juste au-dessus de l’en-but gallois en seconde période (cf photo), impuissants face à ce chapelet de pénaltouches et de ballons portés stoppés in extremis, de percussions et de courses rectilignes avortées. Après tant d’efforts peu récompensées, d’élan mal maîtrisés, de domination stérile, le plongeon méritant mais tardif de Guilhem Guirado, capitaine courage à la façon d’un Philippe Dintrans, n’attisa même pas nos regrets à l’issue de cette défaite.
La 17e journée de Top 14 va passer un baume sur cet échec ; le Racing, Toulouse, Clermont, Toulon, La Rochelle et le Stade Français, soit pour assumer leurs ambitions, soit parce qu’ils sont en danger, vont aligner leurs internationaux fracassés/minés avant le déplacement à Edimbourg. De son côté, Guy Novès titularisera peut-être en Ecosse Parra ou Doussain, Bonneval ou Nakaitaci, Trinh-Duc, Lamerat, Fofana ou Fickou, Le Roux, Camara, Gourdon ou Goujon, Maestri ou Vahaamahina. Nous le saurons bien assez tôt. En espérant qu’après avoir posé quelques fondations au combat, ses joueurs s’impliqueront davantage dans la finition.

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