On apprend donc que les Anglais à l’école vont arrêter l’exercice du plaquage. Déjà qu’il est interdit de pousser les mêlées dans certaines catégories d’âge et de niveau, et sans compter qu’il ne faut plus mettre les mains dans les rucks, que va devenir à court terme le rugby quand on apprend que les législateurs ovales de la World Compagnie planchent sur la meilleure façon d’édulcorer la mêlée ? Si jamais cette contre-indication franchit la Manche et que nos petits Français se retrouvent dans la position du pingouin en défense, déjà que l’art de la passe se perd, que va-t-il donc nous rester ?
Des efforts sont effectués pour indiquer au public de plus en plus nombreux mais de moins en moins averti qu’il est de bon ton de ne pas siffler les buteurs dans l’exercice de leurs fonctions. Louables, ces efforts. Mais dans le même temps, plaie à signaler, les présidents en mal de com’ rémunèrent des brailleurs patentés affublés d’un micro pour vendre comme à la criée les lots d’actions à plusieurs temps de jeu. A Colombes et à Chaban-Delmas, les pétitions circulent pour changer le speaker. Ailleurs aussi, sans aucun doute. Mais nous n’en avons pas encore eu écho. Restons à l’écoute.
Conséquence de la surenchère de décibels, s’intensifient les mauvaises manières entendues dans les stades. Dernier exemple, les quolibets déplacés du public rochelais, dimanche, à l’encontre des joueurs du RCT sur l’air puéril du «Mais ils sont où, les Toulonnais ?» Où sont-ils : troisièmes au classement. Chambrage aussi inutile que ridicule, donc, surtout venant de cette même foule qui sifflait à domicile son équipe en début de saison à l’issue de la déculottée reçue face à Clermont. Il faut croire que le néo-public d’ici et d’ailleurs a besoin d’exulter autrement qu’en secouant les petits drapeaux qu’on lui distribue gracieusement à l’entrée des joueurs.
J’ai entendu, ce week-end, d’autres travées faire connaître leur mécontentement, en particulier celles de Montpellier. Il faut dire qu’en alignant trois Français au coup d’envoi, Paillaugue, Ouedraogo et Privat, le MHR de l’écrivain Altrad ressemble davantage à une franchise sud-africaine en panne de Super 18 qu’à un club d’héros locaux. Et encore, dans le Super Rugby, voit-on peu de jeu au pied alors qu’à Montpellier, entre les ballons portés d’aurochs et les grands coups de godasse pour gagner du terrain, il y a de quoi s’irriter. Voire s’endormir. On suggère au président lettré de recruter les speakers de Colombes et de Chaban-Delmas pour animer les travées de l’Altrad Stadium. Ou couvrir les sifflets.
Endormie, c’est aussi la posture du responsable des affaires internationales à la FFR – en fait, ils sont deux, et pas un pour racheter l’autre – qui a oublié de mentionner que David Smith avait disputé un tournoi de rugby à 7 avec la Nouvelle-Zélande, ce qui le rendait inéligible pour la France. Au lieu de quoi, on a laissé monter sous ce mauvais ballon l’ailier de Castres, aller-retour en deux jours, le temps qu’il se restaure à la cantine de Marcoussis. Après ça, vous voudriez que la FFR soit prise au sérieux quand elle défend son projet Grand Stade à 600 millions d’euros, dont les deux tiers sur emprunt quand elle n’a pas – soi-disant – un kopeck vaillant pour mettre trente internationaux sous contrat pendant les deux mois et demi que dure le Tournoi des Six nations, renvoyant les joueurs au hachoir du Top 14 – cf le forfait de Burban victime de commotions répétées – entre deux tests internationaux ? Du pain béni pour l’évangéliste Laporte qui poursuit son Tour de France des clubs pour fédérer – sans se forcer – les mécontents.
Nous voilà partis pour Edimbourg, terre de whisky et de rucks, de grésil et de panse de brebis farcie, et toujours les quatre ensemble. «Personne ne joue au rugby dans des conditions pires que les nôtres,» me racontait au téléphone cette semaine l’ancien demi de mêlée Roy Laidlaw, l’oncle de Greig, celui qui risque de nous faire trinquer. «Ca fait quatre semaines que le meilleur club écossais, Hawik, n’a pas pu jouer sur sa pelouse tellement elle est impraticable, gorgée d’eau et gonflée de boue.» La terre des kilts n’a donc pas encore été touchée par le réchauffement climatique.
Ni par les mauvaises manières. Pas de speaker brailleur ni d’irrespect à Murrayfield. Et si quelques «étrangers» sont venus chercher de l’emploi dans cette région de peu d’habitants et de moins en moins de rugbymen – c’est à déplorer -, ils mouillent le maillot en s’inscrivant dans une tradition de «pilleurs de poubelles», ainsi que Will Carling surnommait les Ecossais toujours les mains dans les rucks adverses pour pourrir le jeu. Ajoutez à la pluie glacée une grêle de percussions dans le bide et vous aurez une idée de ce qui attend les Français, dimanche. Du rugby à l’estomac. Comme le disait Julien Gracq de la littérature. L’occasion pour le XV de France de prendre du volume.