Pendant quelques jours encore, en attendant le coup d’envoi qu’on espère rédempteur face aux Anglais (on peut toujours rêver), il nous reste nos yeux pour pleurer devant le dégât constaté à Edimbourg. Ce n’est pas la défaite qui chiffonne mais la manière avec laquelle les Tricolores dans ce Tournoi, qu’on annonçait régénérés par la parole neuve de leur manager, s’y prennent pour se planter ainsi. A croire qu’ils ne savent plus se passer un ballon.
Ils se le jettent comme s’ils voulaient s’en débarrasser. Quand ils ne s’arrêtent pas pour transmettre, à l’image de François Trinh-Duc qui joue bloqué pour armer, ils balancent la balle trop bas, derrière ou trop loin… Impossible donc de prendre de la vitesse en attaque. Il faut attendre de Gaël Fickou une prise d’initiative en forme de mini-percée, ou une percussion de Guilhem Guirado, pour marquer.
Depuis deux saisons, nous sommes lourdement pénalisés en mêlée. Nicolas Mas, puis Rabah Slimani et enfin Uini Atonio, sont dans le viseur des arbitres. On leur reproche des appuis mal calés, des liaisons dangereuses car rapprochées, des angles de poussée vers l’intérieur. Ca avait commencé à Cardiff, en 2014, et ça n’a pas cessé depuis. Faut-il changer de piliers ou d’entraîneur ? Qui mettre à leurs places ? Ou alors changer tous les arbitres ; ce serait peut-être plus simple.
Reste la touche bleue. Ah, notre alignement ! Quelle beauté ! Quelle splendeur ! Nous y régnons sans partage. Encore seize ballons gagnés sur dix-sept. Mais pour quel résultat ? Rien. Ou si peu. Aucune prise de la ligne d’avantage après le relayeur, pas de ballon porté bonifié par un essai. Juste une statistique. La plus grosse de ce XV de France. Mais inutilisable dans le jeu. Sans doute parce que notre épine dorsale, Guirado-Chouly-Machenaud-Trinh-Duc et Spedding, n’évolue pas sur la même ligne, n’est pas réglée sur la même onde. Je ne vois que ça.
Au fait, quelqu’un a-t-il aperçu la troisième-ligne française ? Un Biterrois de mes amis, plutôt bardé d’expérience en la matière, me signalait dimanche soir par SMS qu’il était temps de «refaire un casting et d’intégrer des joueurs dotés de dimension athlétique, de «tueurs» capables de franchir. Il faut redevenir conquérant, ajoutait-il, sinon l’avenir sera triste.» Déjà que le présent n’est pas bien radieux…
Samedi, les Anglais joueront pour le Grand Chelem au Stade de France et nous, Français, pour l’honneur. L’honneur ? Cette Légion dont on épingle à l’Elysée les revers des rois des pires régimes pour services rendus à notre commerce extérieur ? Pas certain que la ficelle fonctionne face à cette machine à jouer qu’est le XV de la Rose version Mister Jones. Certes, Novès et ses adjoints vont convoquer Jedrasiak, Parra, Chiocci, Danty, Lamerat, Le Roux, Fall, David Smith. Euh non, pas lui, désolé… On pourrait même rappeler Mas, Menini, Brugnaut et Poux, Papé, Méla (spécia dédicace, Sylvie…) et Nyanga, Rougerie, Talès, Dumoulin et jusqu’à Dusautoir pour sauver la patrie, comme l’aurait fait Fouroux, furax.
Nous constatons la disparition du rugby bleu et pas seulement parce que Philippe Saint-André a sabordé le navire lors de sa prise de quart. Novès ou pas, appel aux valeurs ou fumée médiatique, cette génération d’internationaux français est la plus faible en lice depuis 1980. Et ce n’est pas en alignant 50 % d’étrangers sur les feuilles de match du Top 14 que nos petits Bleuets (on notera la présence des fils Roumat et Penaud), qui se sont bien battus pour l’emporter face à leurs homologues écossais, 36-21, pourront progresser. Que leur arrivera-t-il quand ils auront fêtés leurs vingt ans ? Il leur faudra choisir entre faire banc, bien payés, en Top 14, ou rejoindre la Pro D2 voire la Fédérale 1, au SMIC. Que croyez-vous qu’ils choisiront ? Savoir quoi faire de ses enfants : ce doit être à partir d’aujourd’hui la seule préoccupation du rugby français. Relayons-là. Avant de descendre sous la botte de l’Italie, d’ici peu.