Aux bons Boers

Lyon est devenu en deux jours la capitale des goals et des Boks après avoir été celle des Gaules et des canuts. Les Sud-Africains de Montpellier ont remporté un – petit – titre européen, avec seulement deux sélectionnables pour le XV de France dans leur lot, O’Connor et Ouedraogo, pour trois Du Plessis ; et les Saracens avec eux aussi leur Du Plessis, sont devenus – enfin – Champions d’Europe. L’Afrikaner à l’honneur, on craint de mesurer l’impact des succès Saraboks et Languebok sur les prochains recrutements hexagonaux.
Ironie mise à part, les Saracens rament depuis si longtemps de l’autre côté de la Manche qu’il était temps pour eux d’être inscrits dans le gotha. Leur victoire en Champions Cup est le fruit de la vision d’un milliardaire londonien de l’immobilier, Nigel Wray, dont l’épiphanie ovale survint dès que le rugby fut autorisé par l’International Board à sortir de sa gangue amateur, en aout 1995. Et la première idée du premier président tirroir-caisse de l’histoire du rugby pro fut de recruter l’icône française des valeurs du terroir, l’Agenais Philippe Sella.
Jacky Lorenzetti et Mourad Boudjellal n’ont pas le privilège d’avoir enrôlé le meilleur ouvreur du monde pour essayer d’emporter quelques titres : Wray loua dès 1996 les services du wallaby Michael Lynagh, qui était le Wilkinson, voire le Carter, de son époque. Suivirent François Pienaar, Abdelatif Benazzi, Thierry Lacroix, Thomas Castaignède et Alain Penaud sous le tarbouche, ce fez rouge arabo-turc symbole d’un club à part, première équipe barbarian d’Europe dix ans avant le RC Toulon.
Tétanisés par l’enjeu, priant Dan Carter – mais si, messie – de leur ouvrir d’un coup de patte forcément magique les portes de l’histoire alors même que l’ancien All Black était à peine capable de tenir sur ses deux jambes – mollets droit déchiré, genou en vrac du même côté – les coéquipiers du revenant Szarzewski n’ont jamais été en position de l’emporter même lorsqu’ils n’étaient menés que de six points. Depuis deux saisons, le ballon porté est devenu la carte maîtresse des équipes à gros packs. Il est l’atout majeur du Racing 92. Samedi, cette tactique a montré ses limites, et s’ils veulent de nouveau participer à une finale, européenne l’année prochaine ou de Top 14 dans un mois et demi, il va falloir que les Franciliens changent de tonalité, de mélodies et d’accompagnements.
Le Racing 92 n’inscrira donc pas son nom sur le palmarès européen aux côtés de Toulouse, Brive et Toulon. Pour l’instant, il reste avec les finalistes malheureux, Colomiers, Perpignan, Biarritz, Clermont et le Stade Français. L’écart était trop important entre des Saracens maîtres de leur stratégie (systématiquement avancer au pied et à la main) et des Franciliens écrasés par l’enjeu soudain trop gros pour eux malgré la présence d’internationaux d’importance (Szarzewski, Charteris, Carter, Rokocoko) à plus de soixante sélections. Une équipe n’est pas l’addition de ses composantes, elle est bien davantage. Ce «plus», le Racing 92 ne l’avait pas.
Qu’entendre par «plus» ? Une vision stratégique commune adaptée à l’adversaire et aux conditions climatiques. Le coach Travers avait beau hurler depuis le bord de touche d’occuper le terrain, rien n’y faisait. Machenaud, Carter, Goosen et Dulin ne surent pas le faire au bon moment. Leurs remplaçants, Phillips et Talès, ne s’y essayèrent même pas. C’est ainsi que le Racing fut dominé.
Restait à bonifier quelques choix tactiques, comme les ballons portés. Mais la défense anglaise a été remarquable de maîtrise technique pour éclater la carapace des «tortues» franciliennes, ne pas se consommer dans les rucks et impacter le porteur du ballon sur la ligne d’avantage par un double plaquage. Rarement finale de Coupe d’Europe a été si peu indécise. Qu’importe, le Racing, fait pour durer, y reviendra. C’est inscrit. Les Saracens ont attendu vingt ans pour parvenir à leurs fins. Les Franciliens, relancés par Lorenzetti il y a dix ans déjà en choisissant l’option kiwi plutôt que boer, ne mettront pas – on l’espère pour eux – autant de temps pour trôner au sommet de l’Europe.
Epilogue. Maurice Prat s’en est allé, dimanche. Il m’avait reçu chez lui la première fois en 1984, pour m’expliquer le jeu à la Lourdaise. Nous rédigions «Rugby au centre», avec mon ami Jacques Rivière. Il m’avait surtout instruit ce jour-là du sens de la passe, des principes du jeu sans ballon, de l’importance de la précision des gestes, tout en déplaçant ses fauteuils en chêne pour figurer nos adversaires. Quelques mois plus tard, j’entrais à L’Equipe et ses mots, ses expressions, ses regards, ne m’ont pas quitté depuis. Nous nous sommes revus, certes, mais cette première rencontre reste pour moi fondatrice.

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