Ceux qui s’attendaient à vibrer au son des trompettes, des cornes de brume, des crécelles et des chants à l’entame de la phase finale en sont pour leur billet d’entrée. En fait, s’il y avait des tambours en tribune, les percussions étaient sur le terrain. Du coup, aucune appogiature. En frappant fort sur la ligne d’avantage, Racing-Toulouse et Montpellier-Castres ont fini par taper sur les nerfs.
A Colombes, il faut savoir que la tribune de presse hérite d’un énorme haut-parleur de fête foraine accroché à l’un des pylônes qui soutient la toiture et aveugle un petit bout de terrain. Mais il n’y avait pas besoin de trop se tordre le cou : nous étions du bon côté pour voir Fickou marquer, Dulin relancer, Rokocoko relayer et Toto Travers changer vite fait son pilier remplaçant pour le titulaire resté sur le banc à côté de lui pendant trois minutes seulement.
Le rugby pro est cynique. Il oblige un poupon de 22 ans, deux feuilles de match en comptant celle de samedi dernier, à simuler une blessure au mollet pour laisser revenir celui qu’il était censé remplacer dans les dernières minutes. Mais c’est dans ce choix d’urgence validé par le règlement que le Racing n’a pas perdu dans l’ultime instant son barrage contre la bravitude, repoussé qu’il fut devant sa ligne d’en-but par un Toulouse hors d’âge, Harinordoquy, Clerc et Flynn sortant définitivement du champ d’honneur dans la confusion la plus totale.
De confusion, il en fut question aussi au stade des échafaudages. Castres n’a pu organiser son mikado à l’Altrad Stadium, et les mécanos de Montpellier, qui adhérent au syndicat des « Frères du Plessis and Co », ont boulonné leurs ballons portés pour finir déchirés du maillot dans une algarade qui n’avait même pas le goût pur mâle d’une vraie générale, et finit par donner du Trop 14 une image frelatée, et pour tout dire une impression désagréable de pourri cup.
Auparavant, en début de semaine, des Bleuets trop sages s’étaient plantés dans les grandes largeurs face aux Pumitas dont Fabien Galthié – qui fut consultant à Buenos-Aires – me disait qu’ils évoluaient tous dans des clubs amateurs, quand nos espoirs travaillent depuis deux ans dans une usine à champions ; et on croit volontiers qu’ils s’y retrouvent essorés, dans l’Essonne. Heureusement, la chance sonne deux fois, et avec deux fils de, Damian Penaud et Alexandre Roumat, pour les débrider face au Japon, ils ont désormais l’espoir de mieux figurer dans ce Championnat du monde des moins de vingt ans.
Retour à Colombes, où Toulouse est tombé ballon en main. Ou alors c’est l’inverse. Qu’importe. Au coup de sifflet final, pas de querelle : anciens et jeunes genoux à terre, larmes aux yeux, cœurs serrés. Pour tout un tas de raisons : ils avaient perdu après s’être égarés durant la saison, ils perdaient aussi les meilleurs d’entre eux en s’inclinant au terme de ce match couperet. Leur peine tranchait avec l’explosion de hurlements balancés sans discernement ni retenue dans la sono, volume à fond.
Alors qu’un court moment de silence aurait été de la plus sportive dignité, un speaker de foire encourageait sans répit le public de Colombes, pas vraiment amateur de match en fanfare, à « faire du bruit ». Car c’est bien de cela dont il s’agit en rugby désormais : faire du bruit. Celui qui vacarme le plus fort a gagné. Quoi, on ne sait pas, mais il a gagné. On peut juste craindre, mais nous le saurons samedi soir à Rennes – au fait, qui d’entre vous sera au Roazhon Park ? – que les demies soit la fête du bruit à défaut de celle du jeu.
On espère juste que Clermont et Toulon ont prévu d’ouvrir pour obliger ainsi les outsiders, Racing 92 et Montpellier, à sortir de leurs gonds. Parce que pendant ce temps-là, alors que la France, affalée sur la grève, convoque fissa les oubliés de la phase finale pour se compter quinze à Tucuman, les autres nations du Nord relèvent leur niveau. Huitième nation mondiale, juste, mais alors tout juste devant l’Ecosse, il ne faudrait pas que la France perde tout en ce mois de juin : son rugby, ses espoirs et son standing. Parce que neuvième, c’est la perspective d’être dans le troisième chapeau en mai prochain, au moment du tirage au sort des poules du Mondial 2019. Vous imaginez d’ici le bruit que ça ferait.