Tenue de sortie

Entre Barcelone et Tucuman, il faut croire qu’un fil, bleu, était tendu, et plus que ténu. On a suffisamment regretté ici l’indigence du Top 14 et le manque de personnalité de notre équipe nationale ces derniers temps, et même plus en amont, pour ne pas bouder notre plaisir devant la performance du Racing 92 et celle du XV de France. La saison ovale se termine donc en apothéose, y compris du côté – ouvert – de Tokyo, alors qu’on aimerait qu’elle ne s’arrête pas en si beau et si bon chemin.
Un record de spectateurs pour une finale de Championnat, 99 124 au Camp Nou, dont certains des Quinconces, mais surtout un spectacle complet : suspense, drame, tension, exploits, passion. Et pour finir un beau champion. Toulon s’est délité en supériorité numérique, ce qui est assez incompréhensible, et dénote l’absence de leader tactique. Le Racing 92, dont on craignait qu’il ne prenne une veste mais qui au contraire la porta avec classe en hommage au Showbiz, s’est sublimé à quatorze après la sortie de son demi de mêlée sur carton rouge. Ce qui nous ramène encore une fois à la notion d’équipe.
L’Irlande l’avait décroché dans les mêmes conditions, au Cap, face aux Springboks ; le Racing 92 l’a confirmé devant Toulon à Barcelone : quand elles s’unissent, s’allient, se lient, ne forment qu’un en regardant et en poussant dans la même direction le temps d’un projet commun, les ressources des êtres sont insoupçonnées. Ce qu’on appelle l’esprit d’équipe. Les Franciliens l’avaient et quand leur capitaine, Dimitri Szarzewski, avouait à l’issue de la victoire in extremis devant Clermont à Rennes que ses coéquipiers et lui s’aimaient, et que c’était là la clé de leur succès, il fallait le croire.
Démonstration des All Blacks, certes, mais surtout des Anglais en Australie, trois tests à rien là encore. Des Anglais qui ont aussi été sacrés champions du monde chez les moins de vingt ans, avec un phénomène d’ouvreur, Harry Mallinder, fils de Jim, coach des Saints de Northampton : buteur précis, animateur emballant et allure de golden boy. Avec lui, le XV de la Rose est tranquille pour la prochaine décennie. Nous, nous avons trouvé Antoine Dupont, Alexandre Roumat et Damian Penaud.
Et surtout Baptiste Serin, là-bas à Tucuman, au pays des oranges et des pelouses patatières. Mais pour rester avec les Anglais, leur Brexit, qui coupe le pays de la Gracieuse en deux, donne déjà du relief au prochain Tournoi des Six Nations. L’Anglais, sa conduite et sa monnaie, inventeur entre autres du jeu de rugby, reste une énigme qu’il est agréable de tenter de résoudre à grandes rasades de bière tiède dans un pub à la moquette épaisse et aussi collante que le bar en bois qu’il abrite.
Si l’Europe se trouve soudain dépeuplée de sa tribu la plus décalée, nos envies d’outre-Manche sont relancées. Twickenham redevient une destination exotique et je me revois encore dans le Temple pour un Lions britanniques et Irlandais vs Barbarians britanniques (14-23) en 1977, forts des frères flankers, Jean-Pierre Rives et Jean-Claude Skrela, encadrant Jean-Pierre Bastiat, vilipendé dans ce même stade quelques mois plus tôt. Mon voisin cravaté Cambridge recelait dans son Barbour deux flasques remplies d’un douze ans d’âge quand son épouse ouvrait en tribune une valise garde-manger en osier, assiettes de porcelaine et gobelets en argent, une heure avant le coup d’envoi. C’est ainsi que j’apprécie les Anglais.
PS : ceci est l’avant-dernier Côté Ouvert. Les blogs de L’Equipe vont fermer très prochainement. Je vous dis à vendredi, pour la der. Ce sera la 150ème. Un symbole, non ? Vous pouvez continuer à échanger ovale sur ma nouvelle adresse.

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