Rien n’est plus important que de transmettre. Juste après avoir été nommé entraîneur adjoint du XV de France fin 1990, Jean Trillo, que je tiens pour l’un des rares et authentiques philosophes de ce jeu, a dit : «Je ne viens que pour passer». Faire le tour de cette formule lapidaire lâchée à dessein par un ancien trois-quarts centre demande réflexion tant elle distille l’essence de ce jeu.
Passer c’est aussi être de passage, se rendre compte du temps qui ne revient pas ; et de celui qu’il nous reste pour distribuer ce que l’on a reçu. Le ballon comme métaphore, le rugby passant de sport à viatique, supplément à la vie qui nous oblige à nous frotter aux autres, à les rencontrer, à les affronter pour finalement se découvrir soi même.
Ami(e)s de Côté Ouvert, nous sommes en confiance. Alors je vous transmets les clés du blog pendant quinze jours. Vous me croiserez peut-être sur la route qui relie La Rochelle, Limeuil, Reims et Bruxelles, périple de forme oblongue au terme duquel je vous retrouverai ici le 4 mai. Peut-être viendrai-je semer dans l’intervalle une graine de relance dans le terreau de vos échanges.
Cette photo m’accompagne depuis plus de trente ans. Elle est au cœur de mon premier ouvrage, «Le Rugby au Centre», co-écrit avec l’ami Jacques Rivière, augmenté en 2003 chez un éditeur montois, Jean-Lacoste. Elle m’accompagne parce que j’y trouve presque tout ce que je suis venu chercher dans le rugby puis le journalisme, à savoir la transmission.
En posant la paume de sa main sur l’épaule de Jo Maso, alors tout jeune international – nous sommes sur la pelouse du stade Béguère de Lourdes en 1966 -, l’immense Jean Dauger adoube l’icône de la nouvelle génération. Ce qu’il lui transmet à cet instant, c’est sa confiance plus que son savoir. Et devant eux, Maurice Prat mime la réception du ballon. Avant l’offrande. Un tableau de Véronèse.
Dans les écrins d’ordinaire dévolus au football, Clermont et Toulon nous ont transmis beaucoup, eux aussi, lors des demies. Le Chaudron des Verts vibrait de jaune et de bleu, le Vélodrome était mouillé de rouge et de noir, fresques de milliers de points. Le contenant l’a emporté sur le contenu. En ce sens, aussi, que le rugby est un supplément à la vie.
Ce jour de 1966, les anciens internationaux lourdais, Maurice Prat et Roger Martine (en retrait sur ce cliché), avaient invité les trois-quarts centres du XV de France à venir échanger sur la pelouse en présence de celui qu’ils considéraient, œcuméniques, comme le père du jeu d’attaque, le Bayonnais Jean Dauger, international à XIII et à XV. Echanger, c’est transmettre. Le ballon était imaginé, la passe tracée dans l’air, et parfaitement visible.
J’imagine ce qu’il y a d’Aristote chez Jean Dauger, d’Anaxagore en Jo Maso ; je vois Maurice Prat parfait Diogène, Platon en Roger Martine, tous les quatre marchant de concert en se passant l’ovale au fil de leur déambulation comme autant d’interrogations. Une maïeutique en mouvement. En rugby comme en philosophie, les réponses sont des vérités éphémères, vite remises en jeu.
De la même façon, on peut voir Jack Kerouac (avec des faux airs de Franck Azéma) harnaché en footballeur américain en couverture d’un essai de Fausto Batella (Desports – éditions du sous sol) intitulé «Half Back», que je vous recommande. Et d’apprendre que Mister Beat a choisi l’écriture par défaut : il se rêvait balle en main, courant vers l’en-but. Au lieu de quoi il prit la route. Tracer, c’est parfois vital. A chacun sa règle.
Merci de vous présenter avec au moins vos vrais prénoms et un mail identifiable.