En 1992, Philippe Saint-André œuvrait à l’aile du XV de France aux côtés de Jean-Luc Sadourny, Sébastien Viars, Alain Penaud, Philippe Sella et Franck Mesnel. Après une petite victoire à Cardiff (12-9) en ouverture, une défaite bordélique au Parc des Princes face à l’Angleterre (13-31) et un échec à Murrayfield devant l’Ecosse (10-6), l’entraîneur du moment, Pierre Berbizier, avait décrété le retour des fondamentaux.
Nous étions quelques-uns, interloqués, sur le bord de la pelouse du château Ricard, quand Berbize décida de réduire l’entraînement à un vaste atelier de «deux contre un» et de «trois contre deux», prenant lui-même la direction de cette séance surréaliste digne d’une école de rugby. Je n’avais jamais vu les joueurs du XV de France ainsi humiliés, obligés de refaire leurs gammes alors qu’ils s’attendaient à une mise au vert avant de recevoir l’Irlande. Exit les virtuoses, place aux élèves du conservatoire de la passe.
Ah ça, des passes, ils en ont bouffé, les Tricolores du capitaine Sella ! Encore et encore. Pendant deux jours. Jusqu’à l’indigestion. «Redresse ta course !», «Regarde avant de passer !», «Garde les hanches perpendiculaires à la touche !», «Tend les bras !», «Va chercher le ballon !» : Berbizier, irrité d’avoir vu ses joueurs manquer leur premier Tournoi sous ses ordres, lançait inlassablement conseils et critiques. Et personne ne mouftait.
Il faut croire que cette piqure à l’amour propre eut un effet bénéfique sur les arrières tricolores. Deux jours plus tard, ils atomisaient l’Irlande, 44-22, au Parc des Princes, match apothéose, magnifique d’allant et d’élan, à l’issue duquel l’ailier briviste Sébastien Viars lâchait en direction de qui voulez bien l’entendre : «Vous avez le bonjour du French Flair !». Game over. L’humiliation voulue par Berbizier avait eu pour effet de réveiller le meilleur de ses joueurs.
Quand j’ai demandé à Philippe Saint-André, dimanche, au lendemain de ce triste France-Ecosse, s’il comptait fermer la porte de la salle de musculation de Marcoussis et monter à la place un atelier «passes», il a répondu à côté, protégeant ses joueurs, y compris les plus maladroits. Sauf qu’on ne passe pas avec ses biceps mais bien avec les mains : cela s’appelle maîtriser son rugby sur le bout des doigts. A force de trouver des excuses à ses joueurs quand ils foirent un match, Saint-André va finir par s’isoler dans une logique qui ne mène nulle part.
Samedi dernier, Scott Spedding, Wesley Fofana, Mathieu Bastareaud, Yoann Huget, Teddy Thomas, Camille Lopez et Rory Kockott ont été en dessous des minima requis au plus haut niveau. Ballons vomis, passes mal adressées, percussions stériles, oublis coupables, mauvais timing, courses obliques : tout ce qu’il ne faut pas faire, ils l’ont fait. Résultat : zéro essai. Seule l’Italie a fait aussi mal. Le constat heurte : ce XV de France n’a pas avancé dans le registre du jeu depuis trois ans. Pis, il a régressé.
L’excuse de la préparation du Mondial ne marche plus quand on descend aussi bas. Il y a un seuil en dessous duquel le XV de France n’a pas le droit de se situer. Perdre fait partie du jeu ; il n’y a pas de honte à s’incliner après avoir tout donné face à meilleur que soi. Mais gagner aussi moche… Il y a quatre ans, je m’attendais à ce que PSA donne du nerf et de la vie à l’équipe de France, déçu de voir Marc Lièvremont, agressif, partir dans tous les sens. Aujourd’hui, à mon corps défendant, je rejoins le flux des frustrés et déchante. Ce qui inquiète, surtout, c’est que chaque jour, cette équipe perd davantage de supporteurs, même parmi ses plus fervents. Elle sera 1) peut-être, 2) sans doute, 3) sûrement, 4) jamais (merci Christophe) championne du monde, mais en attendant…
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