Le rugby professionnel a franchi un palier ou plutôt, si l’on en croit les Anglais, passé le mur du son. De la méthode globale chère aux disciples de René Deleplace, il plonge maintenant dans la micro-préparation. Tels les personnages d’un roman de Philip K. Dick, Chris Robshaw et ses coéquipiers anticipent leur match de vendredi soir au Millennium Stadium en s’entraînant à pleins décibels.
On peut ainsi imaginer d’autres prolongements dans les jours à venir, et je laisse à votre imagination, ami(e)s – mais ce n’est pas une condition obligatoire – de ce blog le soin de nous concocter les scenarii les plus délirants de séances techniques, tactiques, physiques et psychologiques du XV de France avant d’affronter l’Ecosse. Mon voisin de bureau, Bertrand Lagacherie, m’a rappelé fort à propos l’épisode des lunettes à obturation aléatoire, sous Lièvremont, qui n’eurent comme effet que de procurer des céphalées aux joueurs rendus à moitié-aveugles …
En tout cas, ce n’est pas avec la sono qu’AC/DC a prévu pour le 23 mai au Stade de France que les Tricolores vont préparer au mieux leur ouverture ; leurs supporteurs sont tellement calmes, voire apathiques, dans l’enceinte dionysienne les jours de Tournoi que c’est plutôt en chuchotant qu’ils annonceront leurs combinaisons quand les Anglais devront communiquer par gestes tant l’ambiance qui s’annonce à Cardiff, vendredi soir, sera bruyamment électrique.
Poussant la proprioception à son plus haut degré, les All Blacks avaient choisi, il y a de cela quelques années, de placer leurs huit avants pieds nus sur une plaque de verre munie de capteurs afin de connaître avec exactitude la position des plantes de pied au moment de l’impact puis de la poussée. J’ai le souvenir aussi d’un entraîneur français bandant les yeux de chacun de ses avants afin que tous recherchent avec le plus de liant possible leurs partenaires lors d’un ballon porté et d’un groupé pénétrant.
Les Anglais, qui accueillent le Mondial, n’hésitent pas à tout tenter. Comme par exemple munir leurs joueurs de capteurs de force G (force gravitationnelle) afin de mesurer les chocs encaissés. C’est comme ça, devant un ordinateur lui indiquant que Dany Care avait dépassé la limite au-delà de laquelle il pouvait être en danger, que le responsable biométrie du XV d’Angleterre indiqua à Stuart Lancaster qu’il était peut-être temps de remplacer son numéro neuf titulaire. Et c’est comme ça qu’à la 61eminute, Dickson fit son entrée. L’équipe anglaise perdit le fil de son match et autorisa la France à l’emporter in extremis, 26-24. C’était le 2 février dernier, au Stade de France.
A la fin des années 50, l’Irlande alignait les défaites et son capitaine, le centre Noel Henderson, cherchait une façon de remotiver ses troupes avant la réception du Pays de Galles. Son troisième-ligne, James Kavanagh, proposa d’organiser un footing dans le Wicklow, un dimanche matin. Il était interdit, à l’époque, de se réunir avant la veille d’un match international pour ne pas heurter l’idée que se faisaient du code amateur les gentlemen qui pratiquaient ce sport de voyous. Reste que Henderson accepta la proposition. Les internationaux irlandais se retrouvèrent dès potron-minet dans la lande brumeuse et filèrent à vive allure.
Imaginez les environs de la Bourboule en allant vers le Mont Dore et vous aurez une idée du Wicklow. Au beau milieu de leur footing, les Irlandais eurent à traverser une rivière. Gelée, la rivière. Début mars, il neige parfois autour de Dublin. Et voilà nos gaillards d’Irlandais en slip, portant leurs vêtements au-dessus de leur tête pour ne pas les mouiller, se rhabillant à la hâte et poursuivant leur course. Idem au retour.
Le 15 mars 1958, donc, le Pays de Galles débarquait à Lansdowne Road. Le match ? Enflammé. Les Gallois l’emportèrent 9-6, trois essais à un. Les Irlandais, survoltés, avaient été si maladroits balle en mains qu’ils avaient laissé échapper plusieurs occasions d’essai. A la fin du match, au moment de lui serrer la main, l’ouvreur gallois Cliff Morgan, qui avait eu vent de l’histoire, s’approcha de Kavanagh et lui glissa, malicieux, à l’oreille : «James, je crois bien que vous autres, Irlandais, vous nous battrez le jour où coulera une rivière au milieu de Lansdowne Road…» L’histoire ne dit pas si Kavanagh apprécia à sa juste valeur ce trait d’humour.
D’après ce que m’en a dit un sociétaire de Marcoussis, chaque fois qu’ils ont un moment de libre, les Tricolores se ruent vers la salle de musculation. Vous ne m’empêcherez pas de m’interroger sur l’utilité d’une séance supplémentaire de fonte à quelques jours d’un test international. Ou le joueur est prêt, les biceps saillants, ou bien c’est trop tard pour qu’il prenne du muscle. J’ai le souvenir de Castaignède, Yachvili, Rougerie, Poitrenaud, Garbajosa, Clerc, Merceron, Cafifano, Magne et Galthié allant piquer un ballon une demi-heure avant l’entraînement pour s’amuser «à toucher». C’était en 2003.
A cette époque pas si lointaine, nous nous installions à quelques-uns en tribune pour assister à ce jeu d’adresse, de vista, d’appuis et de réactivité, ponctué de rires. Quand je constate la médiocre qualité des passes en équipe de France ces temps derniers, je me dis que PSA serait bien avisé de fermer la salle de muscu. Ce 23 février 2003, la France l’avait emporté 38-3, au Stade de France face à l’Ecosse, pour sa première réception dans le Tournoi.
Ici, il est demandé à chacun et chacune de ne pas rester anonyme ou derrière un pseudo, et de se présenter, au moins via l’adresse mail, tel qu’il est. Merci.