Trait d’esprit

Quand il a annoncé sa liste pour le stage de préparation du Tournoi des Six Nations, Philippe Saint-André n’a pas évoqué le jeu, ni au près, ni au fond. Du coup, on a bien vu que ses Bleus passaient à l’Orange. A savoir que derrière eux, il n’y avait plus beaucoup de place pour franchir le carrefour au milieu duquel se trouve le XV de France : trois ans de mauvais résultats et une année 2015 à double objectif. Juste un exemple : le centre francilien Alexandre Dumoulin, tendon douloureux, a été appelé de préférence à Maxime Mermoz, étincelant avec Toulon. Autres exemples : exit Sébastien Vahaamahina (Clermont) et Xavier Chiocci (Toulon), confirmations de Rémi Talès (Castres) et de Rémi Lamerat (Castres), nouvel appel fait à Sofiane Guitoune (Bordeaux-Bègles)
A travers flux et reflux se dessinent déjà les contours du groupe de trente-et-un qui disputera la Coupe du monde en septembre prochain. Comme les autres entraîneurs nationaux avant lui, Philippe Saint-André a déjà en tête son équipe-type à l’orée de l’année cruciale. Je ne lis pas dans le marc de café ni dans les boules de cristal, mais on peut imaginer, en décryptant les précédentes listes que sa composition d’équipe sera proche de celle-ci : Dulin – Huget, Dumoulin, Fofana, Thomas – (o) Lopez, (m) Tillous-Borde – Le Roux, Chouly, Dusautoir – Maestri, Papé – Mas, Guirado, Menini.
Il lui faut penser à choisir huit remplaçants pour remplir la feuille de match. L’évidence s’impose avec Kayser, Atonio, Ben Arous, Flanquart, Picamoles, Kockott, Talès et Bastareaud. Du moins en ce qui concerne France-Ecosse. Un banc des remplaçants est fait pour marquer l’adversaire et si possible faire la différence. Ceux qu’on appelle les «joueurs d’impact» doivent impérativement déstabiliser la défense adverse en modifiant ses repères, la puissance de Kayser, Atonio, Picamoles, Talès et Bastareaud sur la ligne d’avantage changeant alors la donne en fin de match.
Pour le reste, ou plutôt la suite, c’est-à-dire le choix de huit joueurs afin de compléter les trente-et-un pour le Mondial, PSA a deux priorités : il lui faut des costauds et de bons mecs. Costauds parce qu’ils devront faire plier la mêlée roumaine – son seul point fort – pour s’assurer une victoire attendue ; bons mecs parce qu’ils n’auront que ce match à disputer durant tout le Mondial, et peut-être un bout de la rencontre contre le Canada. Leur rôle consistera principalement à encourager et soutenir les titulaires pendant deux mois. Deux attitudes rarement associées chez un international confiné au rôle de sparring-partner.  Mais c’est pourtant l’une des clés du succès.
Les grandes équipes de France, celles qui sont allées en finale (1987, 1999, 2011) ont un point commun : le mental. Philippe Saint-André, lui, parle d’état d’esprit. Il entend par là une capacité à se sublimer. Il évoque même «l’état de transe» pour expliquer jusqu’où un international doit aller pour honorer sa sélection. «Des bons joueurs, il y en a plein, mais des mecs capables de se sublimer sur le terrain quand l’occasion le demande, il n’y en a pas autant que cela.» Ce sont ceux-là qu’il souhaite emmener au Mondial. Après avoir battu les Fidji et l’Australie, les Tricolores avaient, en novembre dernier, l’occasion de réaliser la passe de trois en l’emportant sur l’Argentine. Las, les Pumas brisèrent ce rêve grâce à une entame pleine de grinta quand les coéquipiers de Thierry Dusautoir, nourris au diesel, furent incapables de relever, pendant les vingt premières minutes, le défi du rythme et de l’engagement physique.
A priori, derrière les titulaires et les remplaçants, il reste huit places pour le Mondial, à choisir parmi les onze postulants que sont Spedding, Nakaitaci, Guitoune, Lamerat (ou Mermoz s’il arrête de se plaindre de son sort), Michalak (qui n’a pas dit son dernier mot en bleu), Ollivon, Ouedraogo mais plus sûrement Nyanga, R. Taofifenua (et pourquoi pas Vahaamahina s’il s’achète enfin une conduite), Szarzewski (parce qu’il faut trois talonneur en Coupe du monde, c’est plus sûr), Ben Arous (mais aussi Domingo en pleine reconquête, voire Chiocci s’il parvient à perdre dix kilos de gras,) et Slimani (avec Debaty le polyvalent en embuscade). Mais cette première liste résistera-t-elle à un Tournoi 2015 qui s’annonce relevé ? La réception de l’Ecosse et du Pays de Galles, mais surtout les déplacements à Dublin, à Rome et à Twickenham, peuvent-ils avoir raison de ce qui ressemble à une profession de foi de Saint-André ? Espérons ne pas avoir à le craindre.

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