La vie est tout sauf un long fleuve tranquille : samedi c’est Fidji. Un premier test de novembre qui aurait la saveur d’une entrée exotique et légère ? Pas si sûr. En remontant jusqu’à fin février, et au vu des derniers résultats – affligeants – du XV de France (quatre défaites d’affilée contre l’Irlande et l’Australie (3), un succès riquiqui en Ecosse et une claque à Cardiff), il n’y a vraiment pas de quoi verser dans l’optimisme.
Sans aller jusque-là, il fut un temps, pas si lointain, où les Fidjiens en visite à Saint-Etienne encaissaient douze essais et réglaient l’addition : soixante-dix-sept points. En novembre 2001, le XV de France alignait Dominici, Galthié, Magne, Betsen et Ibanez au coup d’envoi, De Villiers et Marsh aussi – un sudaf et un kiwi – sans que cela fasse débat comme aujourd’hui ; Rougerie, Michalak, Chabal et un certain Yannick Bru avaient pris place sur le banc.
En 2003, à Brisbane, ils en avaient pris soixante et un. Et trente-quatre à la Beaujoire, en 2010. L’empan se réduit, certes, mais au point que le XV de France se mette à craindre les Fidjiens. Cela dit, en 1987, à l’occasion du quart de finale de la première Coupe du monde, les Tricolores du capitaine Dubroca avaient été aveuglés par la confiance qu’ils avaient dans leur phalange de fer (Ondarts, Garuet, Lorieux, Haget, Rodriguez, Champ, etc…). Et sans une maladresse du désormais fameux Koroduadua laissant échapper le ballon d’essai qu’il tenait négligemment d’une main, le succès, 31-16, aurait été moins évident. Ce jour-là, Patrice Lagisquet avait pris quelques vents sur son aile et un certain Serge Blanco, désormais patron du comité de suivi du XV de France, se tenait à l’arrière.
Pour préparer la saison qui s’ouvre, Bru, Lagisquet, Saint-André et Blanco, de loin, certes, mais présent quand même, ont modifié l’approche stratégique avec doigté. «On a travaillé sur des lancements de jeu un peu plus fermés que d’habitude,» précise Patrice Lagisquet. Pour le coach des lignes arrière du XV de France, fermer les lancements de jeu consiste à «limiter les options, installer des repères simples et préétablis.»
On l’a bien saisi, le XV de France est en manque de confiance. On le serait à moins. Pour retrouver de l’élan et de l’allant, le staff a réduit le champ d’intervention. «La participation des quinze joueurs est orchestrée sur un, deux, trois voire quatre temps de jeu, qu’on appelle aussi des phases,» note Lagisquet. Celles qui seront proposées aux Fidjiens ne comprendront que très «peu de variations.»
Faut-il voir dans cette réduction orchestrée une simplification ? Annonce-t-elle un jeu en peau de chagrin, déjà qu’il n’était pas bien épais ? D’après Lagisquet, au contraire, plus les lancements seront courts et limités, plus ils seront intenses. Et c’est justement cette intensité dans l’action qui fait défaut au XV de France. «C’est ce qui nous a la plus déçu en Australie, surtout lors du troisième test,» ajoute l’ancien ailier international. Du coup, les joueurs eux-mêmes, qui se sont sentis englués dans une partition trop épaisse, trop riche, trop dense, ont souhaité dégraisser le cahier des charges. «Il y a eu une volonté de leur part de ne pas dépasser trois temps de jeu sur les lancements, avec des situations assez fermées au départ,» confirme Lagisquet.
Dès le début de son mandat, le staff tricolore a eu l’ambition de proposer un jeu complexe dans lequel l’analyse des situations en temps réel détermine les options, les mouvements, les enchaînements ; dimension stratégique que les joueurs n’ont pas pu ou su maîtriser. Aujourd’hui, tout ce petit monde revient à des constructions plus assimilables, plus facilement mémorisables.
Où suis-je utilisé ? A partir de quand ? Deux questions auxquelles les Tricolores doivent répondre, samedi, d’entrée de match face aux Fidji, sous peine de tomber dans l’approximation, leur péché. «On n’a pas de soucis sur les repères de circulation des joueurs, lâche Patrice Lagisquet, mais davantage sur les lancements de jeu.» Un jeu plus direct est à prévoir ce mois-ci. En espérant, pour reprendre Lagisquet, «que les joueurs puissent disputer ces phases de jeu avec davantage d’engagement physique, davantage de conviction.» Sera-ce suffisant pour garder la main ?