Le Stade Toulousain a perdu à trois reprises, en ce début de saison. Comme l’an passé à pareille époque. Mais perdre successivement trois fois ramène le club du président René Bouscatel à l’ère amateur, dans ces années 70, celles des troisièmes mi-temps se terminant au petit matin, des blagues de carabins et des débordements d’un certain Guy Novès en bout d’aile.
Il y a un an et demi de cela, ici même, nous constations la chute de la maison toulousaine au détour d’une défaite à domicile face à Perpignan. Ce blog était tout jeune mais l’impression ne datait pas de février 2013, non, elle remontait bien plus en amont, en 2009, plus exactement, au moment où Jean-Baptiste Elissalde, joueur protée s’il en est, venait de prendre sa retraite de joueur.
Toulouse neuvième après cinq journées, dix points au compteur, c’est un point de moins que la saison passée. Deux victoires et deux points de bonus, c’est maigre. Mais laissons de côté l’approche comptable pour l’instant et évoquons le jeu. Là aussi, amer constat : référence absolue depuis 1985 en matière de mouvement, le Stade Toulousain a perdu sa superbe et sa particularité pour n’avoir pas su se renouveler.
De 2005 – année de création du Top 14 – à 2013, le club entraîné par Guy Novès émargeait, après cinq matches, entre la première (deux fois) et la quatrième place. Pour autant, son rugby s’est délité petit à petit depuis cinq saisons perdant l’intelligence situationnelle – quel jargon alors que « vista », en cinq lettres en dit autant – chère à Pierre Villepreux, l’art de la relance et le jeu dans les intervalles qui étaient le label toulousain entre 1985 et 2009.
Certes, il y a eu des titres, trois entre 2010 et 2012, (j’en sais quelque chose puisque Guy Novès m’a dédié le titre européen conquis face à Biarritz) et nombreux sont les clubs qui auraient aimé remporter autant de trophées en si peu de temps. Mais il faut aussi constater à quel point la concurrence, mal préparée, frileuse, acceptait l’hégémonie toulousaine, envoyant aux Sept-Deniers puis à Ernest-Wallon des équipes bis, voire ter, tellement il était difficile, voire impossible, de s’imposer en terre toulousaine. Samedi, battu devant son public par Clermont, Toulouse a définitivement exposé aux yeux de tous ses limites.
Une mêlée qui tangue, un jeu de passes défaillant, des combinaisons éventées, un milieu de terrain (troisième-ligne centre, demi de mêlée, ouvreur et premier centre) incapable de créer des espaces : certains observateurs disent que c’est conjoncturel, je pense pour ma part que c’est structurel. Pour n’avoir pas voulu ou pas pu voir la réalité en face, ce club naguère hors du lot est rentré dans le rang. Il se retrouve désormais à son point de départ, c’est-à-dire sans fond de jeu.
Il y a un an et demi, que n’ai-je lu sur ce blog pour avoir tancé le Stade Toulousain : « inventeur de polémiques » (Carole), « journaliste people » (Guillaume), « incompréhension de ce qu’est le rugby moderne » (François), « chroniqueur de Voici » et « article nauséeux » (De Chanterac), « pathétique » (Fabrice) ; et il y avait même un Richard B. qui m’enjoignait « à quitter ce métier », preuve que l’amour des couleurs peut pousser à tous les excès, y compris de lucidité.
Avec le recul, ces bourre-pifs distribués à la volée ont donné vie à ce blog. Parce qu’il a fallu argumenter, ne pas s’en laisser compter, faire front et continuer à suivre son chemin, écrire que le Stade Toulousain perdait ce qui avait fait son renom et son palmarès, à savoir l’innovation, cette créativité que l’on retrouve désormais en regardant Bordeaux et Grenoble, cette rage de vaincre qui transpire maintenant à Oyonnax et à Brive, cette liberté dans le jeu exprimée cette saison à La Rochelle et au Stade Français. Il existe le bonus défensif mais heureusement pour le Stade Toulousain qu’il n’y pas de malus offensif, vu le jeu qu’il propose.
Le choix d’un vocabulaire de football – milieu de terrain – pour évoquer les créateurs remonte aux années 80 durant lesquelles Toulouse allait changer durablement la façon de jouer au rugby et inspirer tout le monde, d’Edimbourg à Christchurch, des techniciens comme l’Ecossais John Rutherford et le All Black Wayne Smith se recommandant de l’école Villepreux. Ainsi, l’axe 8-9-10-12 (Cigagna-Lopez, Rouge-Thomas, Charvet) était le socle sur lequel s’agrégeait le mouvement.
A la fin du quatuor Sowerby-Elissalde-Michalak-Jauzion, le Stade Toulousain s’est mis à polluer sa partition de fausses notes. Au début, quelques unes. A peine perceptibles. Aujourd’hui, la cacophonie l’emporte. Les coffres à ballon pullulent, le contenu est conservateur. Le ballon passe par le sol alors que la clé a toujours été de rester debout pour le passer. Samedi, face à Clermont, quand il s’est agi d’assurer le bonus défensif plutôt que d’aller chercher la victoire, beaucoup de supporteurs toulousains – et j’y inclus les anciens joueurs et les anciens entraîneurs rouge et noir qui se sont bien gardés, depuis cinq saisons, de critiquer le jeu pratiqué par leur club de cœur par amour du maillot – ont été déçus, voire choqués.
Perpignan, Agen et Biarritz, Narbonne et Béziers sont aujourd’hui en ProD2 pour n’avoir pas su anticiper la fin de leur cycle. Lourdes et Mazamet, phares des années 50, évoluent désormais en Fédérale. La roue tourne. Toulouse n’est pas encore en danger, pas comme l’est Castres, par exemple, mais cette neuvième place doit être le signal d’une reconquête au mieux, d’un changement radical au pire ; changement de ton, de discours, d’hommes, d’approche, de philosophie de vie et de rugby.
La sixième journée sera peu amène. Toulouse se déplace au Racing-Métro, seul gros, cette saison, à n’avoir pas encore perdu à domicile. Il existe un tout petit espoir de rédemption sans lequel aucun défi ne mérite d’être relevé. Les Toulousains, qui aligneront sans aucun doute leur équipe type, auront les crocs et s’ils ne les ont pas, c’est à désespérer. En cas de défaite des hommes de Novès, La Rochelle (qui reçoit Bordeaux) et Brive (qui reçoit Toulon) peuvent monter au classement et reléguer Toulouse à la onzième place. Du jamais vu. Ceci est une autre histoire ? Non, c’est toujours la même.