Il n’y a pas plus difficile, dans ce sport de combat collectif qu’est le rugby, que de passer en une seconde d’une séquence défensive à une situation d’attaque. C’est ce que m’avouait Pierre Villepreux le 24 mai 1986 à l’issue de la finale entre le Stade Toulousain, dont il était un des entraîneurs, et le SU Agen, remportée 16-6 par les Rouge et Noir.
Défendre est relativement facile à mettre en place. Se parler, serrer les intervalles, monter en ligne sur l’épaule extérieure des attaquants, puis coulisser ; ne pas se fixer et laisser le partenaire à son intérieur plaquer l’attaquant qui s’engage. Plaquer bas et haut en même temps, à deux, pour arrêter le porteur de la balle tout en l’empêchant de la transmettre.
Un entraîneur médiocre – j’en sais quelque chose – connaît tout cela. Les replacements s’effectuent sur un premier rideau, évitant que les soutiens au plaqueur se consomment en trop grand nombre dans les rucks. En ajoutant un poil de motivation individuelle, en jouant sur les ressorts psychologiques classiques («Nous sommes seuls au monde, les médias nous critiquents, personne ne nous aime, personne ne croit en nous»), il effectuera sans souci le job basique.
C’est exactement ce que le staff tricolore a réalisé avant le deuxième test, à Melbourne. En revanche, affiner une attaque est bien plus difficile. Soit les coaches choisissent un créateur-passeur de type Mermoz, soit ils alignent de puncheurs comme Bastareaud et Fofana. L’idéal consiste à mêler les deux au centre et on voit bien, à la lumière des choix récents, que l’articulation offensive tricolore grince.
Un essai par match contre les nations du Top 10 IRB : c’est ce qu’inscrivent les joueurs de PSA. Sous l’ère Lièvremont, le XV de France en plantait presque le double (1,7 par match, pour être exact). On ne peut pas imaginer une seule seconde, même si on sait que les ballons tombent trop souvent des mains françaises à l’entraînement, que la crème des internationaux ne sache pas effectuer de passe(s).
La seule explication trouvée ici et maintenant réside dans la structure des compositions d’équipe. Les bombes interchangeables du triangle arrière actuel, à savoir Huget, Dulin et Médard et Bonneval, ne sont pas douées pour redonner le ballon dans les espaces et dans le bon timing. Elles cassent les défenses et franchissent, mais ne sont pas capables de prolonger l’action au bénéfice de leurs partenaires.
Comme Bastareaud, Fofana, Fritz et – c’est plus surprenant – Fickou, ne sont pas eux aussi naturellement tournés vers la recherche d’intervalle à l’usage de leur coéquipiers, il ne reste plus qu’à compter sur la troisième-ligne. Mais Ouedraogo et Burban trop justes physiquement, Picamoles, Le Roux et Dusautoir occupés au combat, seuls Nyanga et Lauret assurent ce lien, vital, entre les lignes. Ca fait peu.
L’équipe de France souffre des mains. On l’a vu au début du premier test, et durant tout le deuxième. Pas certain que cela puisse s’améliorer en une semaine d’ici au coup d’envoi, à Sydney. Pas seulement faute de temps mais parce que cette équipe de France, solide et solidaire, est bâtie de ciment, pas de show.
Pierre Berbizier, devenu entraîneur du XV de France au début des années 90, ulcéré de voir les ballons tomber, avait convoqué ses joueurs pour une longue séance de «deux contre un» et de «trois contre deux» sous le regard incrédule des journalistes. Mesnel, Viars, Penaud et Sella de retour à l’école de rugby, l’avant-veille d’un match du Tournoi : humiliant ! Mais la France infligeait un cinglant 44-12 à son adversaire deux jours plus tard. Philippe Saint-André s’en souvient peut-être : il était de cette équipe fustigée puis éclatante dans la victoire, sur elle-même autant que sur l’Irlande.