Samedi, cette finale permettra à un club, Castres ou Toulon, d’entrer dans la légende. Toulon parce qu’il atteindra l’inaccessible doublé H Cup – Top 14, le premier vrai sommet resté encore vierge du rugby pro depuis 1998. Castres parce qu’il inscrira deux fois de suite son nom sur le Bouclier de Brennus, retrouvant ainsi la légendaire génération de 1949-50, celle du capitaine Jean Matheu, des frères Siman, de René Coll et de Jean Pierre-Antoine. Il deviendra alors pour ses contemporains l’égal du Stade Français (2003, 2004), de Biarritz (2005, 2006) et de Toulouse (2011, 2012).
On aurait tort de ne considérer Castres, sous-estimé, qu’à l’aune d’une sous-préfecture. Ce club, dans l’histoire, est bien davantage. Doublement sacré au sortir de la Deuxième Guerre Mondiale (1949 et 1950), il a connu un temps les affres de la descente (deux saisons en Groupe B) comme ses égaux, Lourdes (1945-46, 1952-53), Agen (1965-66) et Béziers (1974-75, 1977-78, 1980-81, 1983-84) qui, eux aussi, ont remporté deux fois de suite, et certains à de multiples reprises, le titre de champion.
Si le C.O. venait à l’emporter samedi soir au Stade de France, il lui resterait à aller chercher les records. Celui de Lourdes, trois fois de suite vainqueur du Brennus (1956, 57 et 58), et ensuite l’extraordinaire série de Toulouse (1994, 95, 96 et 97). Ce qui voudrait aussi dire que Toulon et son armada magique garderaient gravé le côté pile, à savoir l’anti-record indélébile des Clermontois (2007, 2008, 2009), soit trois finales perdues d’affilée.
Le Championnat se partage en cinq périodes : 1892-1914, 1920-1939, 1943-1973, 1974-1997 (époque Parc des Princes) et, depuis 1998, l’ère du Stade de France. La sixième s’ouvrira lorsque la finale du Top 14 (ou Top 12, ou Top 10, cochez votre préférence) se disputera à Evry-Ris-Orangis dans le grand stade de la FFR, vraisemblablement en 2018. Reste que rares sont les clubs qui couvrent, au plus haut niveau, le spectre du rugby français. Je n’en connais que quatre, les «4 Fantastiques» – c’est d’actualité, non ? – le Racing, Toulouse, Bayonne et Perpignan.
Toulon a rayonné sur quatre de ces époques, Castres trois. La place du C.O. n’est pas usurpée : elle raconte un département, le Tarn, dédié au rugby. Gaillac, Graulhet, Mazamet, Carmaux et Albi se retrouvent aujourd’hui dans le parcours aux forceps de cette équipe d’anti-stars (Forestier, Mach, Capo-Ortega, Claassen, Caballero, Tales, Lamerat, Dulin) éclairée à contre-jour par les feux de la rampe dirigés vers Kockott et Gray, les deux seuls à prendre la lumière dans cette phalange.
A l’inverse, les flashs qui crépitent autour du RCT permettent de distinguer quelques sans-grade intéressants, tels le pilier Chiocci et le talonneur Burden. Au pays des forts en reins, des hommes de mêlée et de devoir, deux des trois abonnés aux fauteuils d’orchestre ne possèdent pas de pedigree, de palmarès et de cartes d’internationaux. Toute bardée d’étoiles, la phalange toulonnaise, «cuirassée pour l’épique», ainsi que l’écrit mon ami Benoit Jeantet, devra beaucoup, en cas de succès, à ses humbles.
Une finale pour l’histoire, donc. Elle marquera un virage. Le palmarès du Top 14, qui trouve sa source en 2005, s’enorgueillira-t-il d’un nouveau champion, Toulon, capitale de l’Europe construite pour le succès, ou d’un héraut des villages qui tendent à disparaitre chaque saison un peu plus, l’élite vidant de sa substance la zone Bayonne-Toulouse-Bordeaux, ce sud-ouest qui ressemble désormais au triangle des Bermudes ? Mystère…
Samedi dernier, à Lisbonne et à Cardiff, on a sacré l’Europe au moment où elle n’intéressait, le lendemain, qu’un Français sur trois. Les Eurosceptiques sont désormais dans la fosse quand deux représentants du rugby national, Castres et Toulon, y pénètrent avec la bénédiction de Saint-Denis. Deux clubs, deux visions du monde ovale, deux ambitions, deux parcours, deux histoires aux antipodes l’une de l’autre. Et dire que tout va, peut-être, se jouer sur un rebond.