Lille de la tentation


Quand deux des plus grands clubs français prennent la porte des barrages en pleine gueule après avoir tant fait pour le jeu, «large-large» à Clermont et debout pour Toulouse, forcément, ça interroge. Mais il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les gros mensonges et les statistiques. Car comment, avec 12,5 % de chances de l’emporter à l’extérieur en barrage, le Racing et Castres sont-ils parvenus à s’imposer respectivement à Ernest-Wallon et Marcel-Michelin ?
Il faut commencer par oublier les statistiques collationnées durant la saison régulière. Elles ne signifient rien au moment des matches couperets. Les entraîneurs, à l’évidence, privilégient les matches à domicile en alignant leur équipe-type avant d’envoyer réservistes et doublures en déplacement. Il y a donc pile et face pour l’aller et le retour. Difficile, voire impossible, d’en tirer le moindre enseignement fiable. Quand arrive la phase finale, une nouvelle saison démarre. Sauf à considérer que Castres fut seul à faire tomber Montpellier sur sa pelouse, le 23 novembre dernier, 20 à 16…
Les coaches préparent leur plan à partir de séances vidéo, d’analyses, de modules constitués de phases de jeu additionnées afin de savoir qu’elles sont les tendances lourdes d’un adversaire, ses points forts et ses points faibles, ses habitudes. Cela va du sens dans lequel le jeu s’enchaîne jusqu’à la fréquence des lancers en milieu d’alignement dans la zone comprise entre la ligne médiane et les 22 m adverses lors des quinze premières minutes de la seconde période. Du macro au micro.
Castres, indigent à l’extérieur d’aout à avril, et le Racing-Métro, timoré loin de ses bases, ont donc surpris tout le monde le week-end dernier, à commencer par ceux qui leur étaient opposés. En attaquant avec fermeté et conviction, en faisant preuve de dureté mentale et physique, en prenant soin, même au bord de la rupture, de ne pas briser leur chaîne d’union, ces deux clubs ont coupé à pique au bon moment, se débarrassant d’une couleur pour mieux briser les atouts d’adversaires laissés sur le carreau.
Peut-être faut-il voir dans ces deux surprises la patte du duo des Laurent, Labit-Travers. Castres construit, hier, pour surprendre. Tout comme le Racing-Métro aujourd’hui au format équipe de Coupe : conquête, contre, défense, buteur et deux ou trois bons coups joués dans le meilleur timing, au pire moment pour l’adversaire, blessure fatale infligée par la dague glissée sous l’armure. Rien de spectaculaire. Stratégique certainement. Pensé, obligatoirement. On peut ne pas aimer mais, quand même, chapeau.
Vingt-six journées d’aout à avril pour déterminer les deux clubs relégués en ProD2, c’est long… Puis tout remettre à zéro ; reset pour les six premiers. Rupture brutale. Comme une loi nouvelle qui s’impose sans sas de décompression. Pas la peine de produire, d’aligner, de maintenir. Juste se contenter. Rien ne sert de recevoir c’est à point qu’il faut jouer. Toulouse, bancal tout au long de la saison, et Clermont, perdu en demi-finale de H-Cup, en ont fait la cruelle expérience.
Il n’y a pas de note artistique en match éliminatoire. Toulouse, naguère, l’emportait avec sa mêlée. Vendredi soir dernier, elle a été pliée, refoulée, broyée, comme jamais depuis 1983. Clermont, enfumé par sa série d’invincibilité, n’a pas su choisir ses priorités. C’est la loi de ce marché : surtout ne jamais banaliser une phase finale. Le soin méticuleux avec lequel Castrais et Franciliens ont préparé leurs défis rappelle à quel point l’humilité demeure une vertu cardinale.
Maintenant que les barrages ont sauté, les regards sont tournés vers le nord et Lille de la tentation. Toulon et Montpellier présentent d’autres arguments que ceux proposés, la semaine dernière, par Toulouse et Clermont. De leur côté, le Racing et Castres devront élever leur jeu d’un cran. Ou pas. Rester dans un registre compact ou élargir sa palette, telle est la question. Etre rugby or not to be.

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