Les équipes obéissent à une dynamique de groupe qui dépasse la simple mise en place d’un plan de jeu ou d’une organisation tactique. On a pu le constater le week-end dernier à la lumière des performances des clubs français en H-Cup, compétition miroir proposée à notre réflexion dans laquelle se mirent forces et faiblesses.
Ecartons Racing-Métro, Perpignan, Castres et Montpellier qui s’ébrouaient sans enjeu – mais non sans envie – pour concentrer le propos sur les trois gros à la table des quarts. Comment analyser la production de ces équipes expérimentées et gorgées d’internationaux ? Comment représenter à l’aide de mots la performance minimaliste de Toulon, euphorique de Clermont et celle, tétanisée, de Toulouse ?
Le premier regard se porte vers la composition. Particulièrement sur deux associations : la paire de centres et la troisième-ligne. Ces cinq joueurs-là ne conduisent pas le jeu – c’est le boulot de la charnière – ils l’articulent. En mode majeur s’ils assurent les liaisons, créent les variations, modulent les fugues. En mode mineur s’ils se limitent au défi frontal, repiquent à l’intérieur, conservent le ballon.
Par et avec eux s’alourdit ou s’accélère le jeu, selon qu’ils choisissent, ou pas, la clé de sol, ce passage à terre qui permet à la défense de se replacer à partir du ruck initié par le porteur du ballon, bref moment qui tape, certes, mais ralentit un tempo. Après avoir imaginé les fruits que peut porter le mariage des centres et de la troisième-ligne, considérer leur attitude au contact permet de distinguer assez nettement le dessein tactique d’une équipe.
Pour la troisième lecture en direct d’un match, j’utilise l’analogie avec les douze sons de la gamme. Non pas que Arnold Schoenberg soit mon maître d’écriture mais j’aime assez l’idée que chaque son puisse être unique, noté sans altération, avec sa propre vie, sans être obligé d’exister dans une tonalité fixée. Ainsi la liberté est laissée à chaque joueur d’apporter son talent, sa vista, sa griffe.
Neuf registres établissent le texture d’une équipe: pilier, talonneur, deuxième-ligne, flanker, numéro huit, demi de mêlée, ouvreur, centre ou ailier-arrière. Le nombre de mauvais choix individuels, de fautes de mains, de pénalités concédées, de placements erratiques et d’impacts subits affaiblit la performance collective. A contrario, une inspiration, une impulsion, la justesse technique, la vivacité, le placement judicieux et le gain de la ligne d’avantage tirent le reste de l’équipe vers le haut. Cette utilisation du bémol et du dièse permet d’évaluer combien de joueurs d’une équipe sont en dessous ou au-dessus du niveau requis.
Pour écrire s’effectue en permanence l’aller-retour du collectif vers l’individuel, de la partition d’ensemble vers l’exécution technique. Comme dans toute œuvre – et un match de rugby en est une – s’impose la nouveauté, l’innovation, voire la création qui placent une équipe en avance sur son temps. Ce peuvent être une poignée de combinaisons inédites, des options tactiques osées. Ou alors la rencontre est affaire de coups de sifflets, de buteurs et de gain de terrain, le genre rebattu, trempé dans le formol et soporifique. Une œuvre de suiveurs, pas d’acteurs.
Ce week-end dernier, Toulon s’est réfugié dans son registre collectif le plus conservateur, Toulouse, de son côté, oubliant que la justesse technique prélude à toute option tactique. Seul Clermont, d’entre les clubs français en lice, a su allier les registres – mental, physique, technique, tactique ; chaque joueur apportant ce dièse qui éclaire les grands matches.
Résumer une rencontre ou une performance individuelle, c’est radicaliser le propos, ou alors rien ne s’impose, sinon la léthargie, auquel cas 140 signes suffisent pour un court bilan. Pas concilier mais plutôt reconnaître les aspects marquants, les aspérités, ce qui ressort et nous touche. Steve Coogan, scénariste de Philomena – long métrage sur la foi et le pardon – attaqué par des extrémistes à l’issue de la projection, a dit : « Il est important que les intolérants n’aiment pas le film. Car il n’est pas pour eux.» Je fais mienne cette formule. Elle tape sur les lignes de mes comptes rendus.
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