D’un stade l’autre

L’attente est anxiogène, tous les transis vous le confirmeront. A force de regarder en haut le cou tendu, ils oublient de sentir ce qui se passe à côté d’eux. La quête d’idéal les fige, les voilà tétanisés. Dans des contextes différents mais dans le même registre, l’équipe de France – dont on attend des performances flamboyantes, et le Racing-Métro – qui a juste besoin de victoires, mêmes moches, traversent cette passe que l’on dit mauvaise.
A Marcoussis, Philippe Saint-André retrouve régulièrement Yannick Bru et Patrice Lagisquet pour disséquer, analyser, comparer. Mais ça ne suffit pas. L’équipe de France, usinée par des outils électroniques, n’a pas trouvé forme, même avec deux perfectionnistes penchés sur elle, travaillant le geste juste au millimètre près. Tout est corseté par l’envie de bien faire, cette attente inhibitrice.
Au Plessis-Robinson, dès 7h45, Lolo et Toto sont au boulot. Le logiciel vidéo chauffe davantage que la machine à expresso, mais ça ne fait pas avancer le métro. Comme à Marcoussis, un staff champion et un alignement d’internationaux ; le confort moderne, l’outillage dernier cri, le souci d’excellence, les plans de jeu sophistiqués. Un standing à tenir, des objectifs à atteindre. De l’ambition. L’attente grande. Un titre, un stade, de quoi nourrir le projet.
Mais ça coince. Une année 2013 calamiteuse au regard des résultats du XV de France ; un Top 14 et une H Cup pathétiques côté RM92. Ce n’est pas faute de bosser, de phosphorer. Qu’est-ce qui fait, en dehors de la qualité de l’opposition, que la somme de travail et l’investissement fourni débouchent sur un constat désespérant ? Travers, Labit, Lagisquet, Bru et Saint-André passent les fêtes de fin d’année à plancher sur le sujet. On leur souhaite une réponse au pied du sapin.
PSA, contrairement à ses prédécesseurs, n’a jamais jeté la pierre aux joueurs. Parfois, il aurait pu. Il a préféré prendre sur lui les critiques, épargnant ses adjoints. Il se plaint néanmoins du système, du calendrier, des cadences, des courts rassemblements, rejoignant Laporte et Lièvremont. Labit et Travers, eux, ont utilisé le ressort de la crucifixion publique. Sans succès. Davantage qu’une justification l’incompréhension domine.
De Nice à Calais, des milliers d’internautes proposent, plus ou moins gracieusement, leurs bonnes compositions : untel à l’arrière, cézigue à l’aile, celui-là en deuxième-ligne et l’autre à la mêlée. C’était déjà comme ça à l’époque de Leroux, puis de Basquet. La France dispose d’un vaste comité de sélection. Plus les défaites s’additionnent plus il se réunit sur l’azerty. Vu de l’extérieur, il ressemble à un rocking-chair : ça balance d’avant en arrière, mais rien n’avance. Le moteur est ailleurs.
Où se fait la différence entre une équipe et quinze joueurs ? Une équipe ne peut se mettre en place que lorsque chacun, à son poste, prend au moins une fois dans la partie l’avantage sur son vis-à-vis. Il suffit d’un joueur cassant la ligne pour que les autres s’agrégent. Deux critères marquants – plaquage offensif et capacité à faire jouer après soi – prévalent plus que tous les autres au moment de la sélection. Une équipe est mue par la vitesse additionnée des joueurs qui la composent, vitesse de réflexion, d’intervention et de réalisation. Merci à Alain Hyardet, Bob Dwyer et Pierre Berbizier.
Entre toutes, j’ai bien aimé la piste qui considère qu’un joueur, aussi bon soit-il, n’est rien sans un partenaire à ses côtés, ce qui dépasse le rugby pour ressembler à la vie. Co-équipier : celui qui joue avec toi. Interrogé, Eric Blondeau – c’est lui dont il s’agit – évoque les « 110 % ». Obtenir seul ce dépassement ? Plutôt à deux. Et c’est subtilement ce dixième fourni par un coéquipier qui sert de socle à l’envie collective.
L’envie de se porter à hauteur, d’épauler, d’anticiper, ne se trouve pas dans un logiciel informatique, ni sur un paper-board. Elle lie l’idéal de jeu à l’idéal de vie. Elle ne se commande pas, même au Père Noël. Par elle existe une stratégie, conçue par des cerveaux ovales. Pour cela s’ouvrir, ne plus tordre son cou à force de regarder les attentes placées trop haut, remiser pour un temps l’idéal de perfection au profit de l’altérité, porteur, et ce n’est pas un paradoxe, d’identité.
Restons liés. Joyeuses fêtes.

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