Des secouées, l’équipe de France en a pris quelques-unes, en Nouvelle-Zélande. Sans remonter au troisième test de 1961 ni prendre en compte la double déconfiture annoncée de 2007, les Tricolores ont perdu plus qu’à leur tour au pays du long nuage blanc. De belles équipes de France auraient pu accrocher un succès face aux All Blacks, comme celles de 1968 auréolée du premier Grand Chelem de l’histoire de France ou celle de 1984 qui en méritait un, de Grand Chelem – mais c’était sans compter sur les largesses de l’arbitre, M. Jones, en Ecosse.
Si les Tricolores (à cette époque, on ne disait pas encore Bleus car le foot n’était pas passé par là) de 1987 furent débordés en finale de la première Coupe du monde, ceux de 2011 méritaient de la remporter, cette finale, qui fut d’ailleurs leur seul match abouti de toute la compétition. Des fortunes diverses, on le voit, accompagnent l’équipe de France à l’autre bout du monde. Certains matches perdus de peu, d’autres plus largement. Des tests au banc d’essai, d’autres aveugles. Une épopée que les scores ne racontent pas.
J’avais deux ans en 1961 mais d’après ce que les observateurs présents en Nouvelle-Zélande cette année-là m’en ont dit, Cazals, Domenech et Bouguyon n’avaient pas failli. Idem en 1968, concernant Esponda, Iraçabal, Noble et Lasserre. Par la suite, et là j’en ai été le témoin, l’impact laissé à ce poste si particulier de pilier par quelques Français obligea même les All Blacks à considérer la mêlée comme une phase de combat incontournable, eux qui ne la voyaient que comme un lancement de jeu.
Les Néo-Zélandais vouent aujourd’hui à des piliers de chez nous, citons Jean-Pierre Garuet et Christian Califano, une admiration à la hauteur de celle qu’ils offrent à leurs propres légendes de la première ligne, à savoir Wilson Whineray et Sean Fitzpatrick, ce qui n’est pas peu dire. Mieux, les Auckland Blues en panne d’hommes forts allèrent jusqu’à recruter Califano pour tenir leur mêlée dans le Super 12, immigration ovale qui n’avait jamais été envisagée avant. Et qui n’a jamais été reconduite depuis.
Alors quand j’ai vu reculer la mêlée française, samedi dernier, à l’Eden Park, quand je l’ai vu pénalisée, puis emportée, j’ai senti que tout un pan de notre culture s’écroulait. Dans le même temps où Florian Fritz perçait au centre comme un Jo Maso des plus belles années sur ce même terrain de l’Eden Park et, par la grâce d’un déhanchement de haute facture, servait à l’intérieur Wesley Fofana venu à sa hauteur, le dénommé Daniel Kotze était plié comme une carte routière par son vis-à-vis, avant l’heure de jeu.
Trois marques caractérisent le rugby français : le jeu de passes, l’inconstance et le combat en mêlée. Pour les deux premières, pas de souci, le label perdure. Mais en ce qui concerne la mêlée, samedi, quelque chose s’est brisé. C’est réparable, bien sûr, et la rentrée du futur Montpelliérain Nicolas Mas devrait apporter une garantie de solidité, mais derrière lui, si l’on considère Luc Ducalcon comme le dernier rempart avant l’effondrement de «la maison du ballon», le rugby français a du souci à se faire.
Comme vous, j’attends avec impatience le deuxième test contre les All Blacks, ce samedi, à Christchurch. La faillite de la mêlée française, le 8 juin, est un choc tellurique d’une amplitude jamais atteinte. Elle coûte aux Tricolores une victoire qui, à défaut d’être totalement méritée, aurait récompensé de belles envies offensives, un formidable élan collectif et une discipline retrouvée. Cette reculade laissera des traces. Elle fait injure à toute une lignée de piliers bleus dont le premier devoir était, justement, de ne pas céder. L’honneur d’une corporation sera en jeu, samedi 15 juin, et j’ai l’impression que nous serons nombreux à pousser.