Quand le ballon passe par les centres, ici Yannick Jauzion, la vie devient souvent plus belle… (photo Gérard Rancinan)
Le week-end dernier, troisième journée du Tournoi des Six Nations édition 2013, la modernité du jeu m’a permis de revenir avec délice à la racine de ma passion. Dans ce qu’il y a de moderne, et il ne s’agit pas de souligner ici la professionalisation d’une discipline sportive, j’ai retrouvé une essence. Un parfum du rugby de toujours, qui relie toutes les générations d’un trait. D’un trait de génie.
Moderne, professionnel… Parlons plutôt de la dimension contemporaine du rugby. Il est aujourd’hui comme il était hier, ce sport. Et certainement comme il sera demain. Il suffit d’un joueur calculant sa course sans ballon pour cerner un, voire plusieurs défenseurs, d’une prise d’intervalle et d’une prise d’informations à l’instant de l’accélération, d’un regard panoramique et d’une belle paire de cannes pour traverser une vie.
Je veux parler ici des percées de Luke Marshall, l’Irlandais. De l’intervention de l’ailier Alex Cuthbert au coeur de la ligne d’attaque galloise. Je veux parler, bien sûr, de l’échappée belle de Wesley Fofana à Twickenham. Des fulgurances qui passent toujours par le même endroit pour s’imprimer dans nos rétines aux côtés des fresques signées Cédric Heymans (2009), Jean-Pierre Lux (1970), Serge Blanco (1987, 1990), Jérôme Gallion (1978), Patrice Lagisquet (1990)…
Balle au centre, la vie est belle ! C’est au milieu, au centre, dans la focale de l’attaque, là où les passes sont les plus subtiles, les courses millimétrées, le rythme accéléré, que ce jeu de rugby trouve ses plus beaux accomplissements, ses plus belles réussites. Il faut que tout change pour que rien ne change, lit-on. Il faut que le rugby donne l’impression d’être devenu un autre sport pour que l’évidence nous revienne, claire, limpide, tranchante. Comme la percée d’un trois-quarts centre.
La veille d’Angleterre-France, vendredi soir, à Castres, c’est Romain Cabannes qui s’engageait, tête haute, dans la défense varoise pour servir son coéquipier Martial vers l’essai. Puis c’est le Toulonnais Maxime Mermoz qui s’engouffrait entre les Castrais pour délivrer ensuite une magnifique passe intérieure en direction de Giteau. Là aussi pour l’essai. Deux actions qui se conservent bien depuis deux siècles, prêtes à être servies dans les grandes occasions.
Alors que je n’étais pas encore journaliste, j’ai rencontré Jean Dauger. C’était en 1983. Au gymnase Lauga, en contrebas du stade de Bayonne qui porte désormais son nom. J’écrivais alors, associé à mon ami Jacques Rivière, un ouvrage sur l’essence esthétique du rugby français. Sur le jeu au centre. Et Jean Dauger, le père spirituel de l’attaque à la française, nous avoua : « Pour qu’une attaque soit réussie, de tout temps, il faut que les avants jouent comme des trois-quarts centres. Et pas seulement les avants, tous les joueurs de l’équipe. Qu’ils se passent la balle avant d’être plaqués. »
Quand il nous a raccompagné jusqu’à notre véhicule, ouvrant son parapluie pour nous abriter d’une pluie battante, Jean Dauger nous a glissé : « Bonne quête… » Nous avons ensuite, effectivement, rencontré Patrick Nadal, André Boniface, Jo Maso, Didier Codorniou, entre autres, artistes du jeu français. Cette quête, Denis Charvet, Philippe Sella et Yannick Jauzion l’ont enrichi et j’ai l’impression de la poursuivre encore quand je repasse en boucle l’essai de Wesley Fofana.
Samedi, le XV de France a perdu à Twickenham. Mais le rugby français a gagné quelque chose. Quelque chose qui dépassera le score, le classement (qui risque de ne pas être brillant) et les déclarations des uns et des autres. Quelque chose dont on parlera encore dans dix, vingt, trente ans. Soixante-dix mètres d’évasion, de maîtrise technique, de rêve éveillé. Soixante-dix mètres pendant lesquels le stade de Twickenham a fait silence.
Epilogue. Thomas Castaignède m’avait dit, il y a de cela une dizaine d’années, avec un sens certain de la formule alors que je lui demandais ce que lui inspirait le Tournoi : « Le Tournoi, c’est quand le rugby met son smoking… ». Samedi, Wesley Fofana, lui, avait mis une tenue de balle.
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