L’Europe en berne


La deuxième vague de H-Cup est maintenant passée. Les clubs français ont surfé sur cette quatrième journée. Six succès, une seule défaite : celle, décevante, de Toulouse aux Ospreys. On gardera pour l’écume des joueurs la victoire étincelante de Clermont sur le terrain du Leinster, dans un Aviva stadium de Dublin plein jusqu’à la gueule comme pour une rencontre du Tournoi. Il faut dire que ce sommet entre l’actuel troisième du Top 14 et le double champion d’Europe en titre avait tout d’un match de niveau international, l’engagement, la qualité technique, le nombre d’internationaux sur le terrain et les statistiques.
On a surtout constaté le déclin des groupements écossais, la déconfiture des provinces irlandaises qui misent pourtant tout sur la H-Cup et l’impuissance des franchises galloises, sans oublier les sélections italiennes encore un peu tendres, même si Trevise a failli causer une surprise face à Leicester. Sur les six poules, trois clubs anglais (Harlequins, Leicester, Saracens) et deux français (Toulon, Clermont) occupent les premières places. Contre une seule province irlandaise, l’Ulster, battue chez elle, 9-10, lors de cette quatrième journée, par Northampton. Un club anglais… Ce constat, purement sportif, n’est pas sans répercussion sur un match qui se joue, lui, dans les couloirs de l’institution.
Car pour aussi séduisante qu’elle soit, spectaculaire même avec le 62-0 infligé par Toulon à Sale, la Coupe d’Europe est belle et bien menacée. Par l’odeur de l’argent attirés, les clubs anglais sont en train de miner les fondements de cette compétition. On se souvient qu’ils avaient déjà boycotté la première édition, en 1995/96, persuadés que sans eux il n’y avait point de salut. Pour l’intégrer l’année suivante, bien contents qu’on leur fasse une place. Cette fois-ci, ils menacent de s’écarter de l’actuelle structure pour créer une compétition anglo-française.
A la tête de cette fronde, le président de Bath, un ancien international juniors anglais devenu milliardaire grâce à ses produits financiers. Il compterait, selon ses dires, plusieurs autres présidents à ses côtés. Sauf que pour l’instant, personne n’est monté au front avec lui… Seuls, c’est-à-dire sans l’accord de leur fédération, les clubs anglais auraient déjà négocié des droits télé avec une chaîne, BT, pour la Coupe d’Europe mais aussi le championnat d’Angleterre.
Les dirigeants de l’ERC, eux, fort du soutien de Sky, auraient resigné de leur côté le contrat de diffusion télé. Mais impossible d’en savoir davantage. Un membre de la commission chargée de travailler sur la refonte des compétitions européennes nous avouait, la semaine dernière : « Personne n’a pu voir ces contrats. » Sous-entendu, les clubs anglais et l’ERC jouent au poker menteur. Pis, en signant un contrat télé de leur côté, les Anglais sont sortis de la partie.
La rupture est toute proche. Certains clubs anglais, avec Bath en fer de lance, souhaitent aller jusqu’au bout. Ils ont pour l’instant l’oreille de trois clubs français, les trois gros du Top 14, à savoir Toulouse, Clermont et Toulon. De son côté, la LNR (qui gère le rugby pro) n’est pas du tout en faveur d’un tel marchandage. Quant à la FFR, elle reste légaliste. Autant dire que la position des cinq ou six clubs anglais favorables à une redistribution des droits télé est quasiment intenable.
Aujourd’hui, les Anglais, les Français, l’ERC et les franchises dites Celtes (qui regroupent en fait le Pays de Galles, l’Ecosse, l’Irlande et l’Italie) reçoivent chacun 25% des droits. Dans la redistribution telle que souhaitée par certains clubs, les Français, les Anglais et le reste de l’Europe (à savoir l’ERC et les Celtes) recevraient 33 % chacun. Si une partie des clubs français écoute d’une oreille attentive et interessée la proposition anglaise, on comprend bien pourquoi.
D’ici la fin de l’année et durant le mois de janvier prochain, de nouvelles discussions vont s’ouvrir. Il s’agira de savoir si la France (LNR et FFR) saura préserver une position « centrale », en savoir en phase avec une redistribution équitable des richesses, ou laissera quelques clubs anglais dicter le loi de la Livre Sterling et de l’Euro au risque d’éclater la H-Cup et le Challenge européen. Une clarification est attendue dans les semaines à venir, en conclave. Du coup, la discussion concernant l’élargissement (32 clubs, voulu par les Celtes) ou la diminution (20, voulue par les Anglais et les Français) du nombre de participants à la H-Cup (24 à l’heure actuelle) passe au second plan.
En marge des rencontres sportives, des résultats, des classements et de la construction d’un tableau de phase finale attendu pour le dimanche 20 janvier 2013, se joue en ce moment, et en coulisses, l’avenir de la Coupe d’Europe. A l’image du choc entre le Racing-Métro et les Saracens, ici l’ouvreur Bradley Barritt face au demi de mêlée Maxime Machenaud, deux internationaux, c’est toujours une rencontre franco-anglaise qui domine les débats.

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