Toulon-Racing à venir nous ramène en 1987. Le GPS dans le dos remplace le noeud papillon rose autour du cou, mais le Racing 92 a renoué, vendredi dernier à Rennes, avec la folie du Showbiz. On parlera longtemps, pour le plaisir parce qu’elle a condensé toutes les émotions en cent minutes, de cette demie face à Clermont. Le Top 14, auquel on reprochait de se déliter, est redevenu d’élite par la magie d’une rencontre débridée, décousue, indécise, spectaculaire, émouvante.
Le Racing 92 annoncé aussi fermé que ses entraînements à huis clos a réconcilié tension et passion, suspense et pression, engagement et vista, transpiration et inspiration dans un petit écrin breton baigné de lumière. Rien de ce qui était annoncé ne s’est produit, y compris côté météo. Pour ça le rugby est grand. Jusqu’à voir les deux présidents épaule contre épaule, presque enlacés dans les derniers instants d’une prolongation irrespirable.
A Rennes, j’ai croisé Philippe Guillard prend de projets et de lucidité, Mourad Boudjellal qui m’a immédiatement reproché une phrase de ce blog dont il est lecteur avant de se montrer affable et agréable comme il sait l’être ; un ancien grand entraîneur toulonnais devenu chroniqueur qui prenait le responsable com du Racing pour un serveur de crêpes devant le buffet média, et Abdel Benazzi soucieux d’expliquer en quoi Jake White n’était pas un fossoyeur de talents français.
Pas de trafic dans les rues de Rennes, trois minutes chrono pour aller d’un point à un autre, disons de mon hôtel situé à une poignée de kilomètres du stade sans un bouchon, si ce n’est ceux des bouteilles de cidre offertes à la dégustation. Ces demies très cervoise avaient le parfum de la phase finale ancienne version, quand il fallait dicter ses comptes rendus et s’agglutiner dans une zone mixte exiguë. Bonheur que de se planter devant Juan Imhoff, Dimitri Szarzewski, Scott Spedding, Fulgence Ouedraogo, Guilhem Guirado, à la hauteur de l’événement dans l’émotion qu’ils firent passer au coup de sifflet final, les mots qu’ils choisirent.
La veille de chaque demie, les entraîneurs – c’est contractuel – se rendent en conférence de presse. Laurent Travers, Jake White et Bernard Laporte furent diserts, parfois drôles, toujours décontractés. Seul Franck Azema transmit son stress, palpable. Ça ne veut peut-être rien dire. Ou alors ça veut tout dire, selon. Il faudra un jour que l’ASM Clermont se pose les bonnes questions.
A celles que nous n’avons pas eu le temps de poser à Azema après la défaite, cruelle, de son équipe, il dégainait déjà ses réponses ; elles visaient l’arbitrage comme souvent quand une équipe perd. Pas un mot sur les six points d’avance gâches en prolongation, le dégagement foireux d’Aurélien Rougerie en fin de prolongation, la touche pas trouvée par Brock James et la passe aveugle de Ludovic Radosavljevic. C’était sans doute trop sensible, trop gênant et obligerait à des remises en question qui ne sont pas au programme RH de Michelin.
Particulièrement stratégiques, ces demi-finales ! Attaquer très vite l’espace balle en main après l’ouvreur, côté Racing 92 ; détruire frontalement le mental héraultais en multipliant les assauts quitte à ignorer les décalages, côté Toulon. Volonté offensive au Racing, qui n’avait habitué personne à une telle débauche de passes dans ses propres vingt-deux mètres ; volonté d’érosion à Toulon, qui a retrouvé l’héritage de Bakkies Botha et qu’on ne croyait pas aussi solidement armé pour percuter ainsi.
Remarquer aussi le nombre important de plaquages au sol sans ruck derrière afin de permettre à la défense de contourner l’édifice sans être hors-jeu, ce qui permit en toute fin de prolongation au Racingman Juandré Kruger d’intercepter librement pour offrir le ballon d’essai et de succès à Juan Imhoff, boosté par l’hommage qu’il voulait rendre au fils de son premier entraîneur, décédé trop jeune ; ce même Kruger qui n’a rien trouvé de mieux que de twitter son obstruction sur Strettle. Déplacé.
Pendant que les demies de Top 14 réchauffaient les cœurs à défaut de faire vibrer les chœurs – peu de supporteurs des quatre clubs à Rennes -, le XV de France des bizuths (sept nouveaux capés au coup d’envoi, dix au final) affrontait à Tucuman des Pumas modelés cette année par le Super Rugby. Et que croyez-vous qu’il arrivât ? Et bien les petits Bleus furent enthousiasmant d’élans offensifs, jouant dans la défense, utilisant l’espace et le ballon comme rarement depuis au moins une décennie, dans le sillage de Serin, Gourdon, Poirot, Goujon, Picamoles, Atonio, Bonfils et capitaine Plisson. Le score ? Pour une fois, on s’en souciera peu. Seul souci, la France se retrouve neuvième au classement mondial.