Je ne sais pas si ça va mieux, mais pourquoi donc faudrait-il tomber en sinistrose parce qu’on se réveille tard ? Thierry Dusautoir le glissait en conférence de presse, la semaine dernière : nous n’avons sans pas ouvert les yeux assez tôt. De quoi voulait-il parler ? Des liens humains qui se distendent au sein du rugby professionnel.
Et pourtant, Pau, Toulouse, Montpellier finalement, et Bayonne ont salué comme il se doit ou comme ils le pouvaient, la génération 2000 qui prend sa retraite, la trentaine dépassée. Comme quoi c’est encore possible, même avec beaucoup de maladresses, n’est-ce pas Timoci Matanavou, n’est-ce pas François Trin-Duc ?
J’ai aimé la standing ovation du public de Jean-Dauger pour la sortie de David Skrela, dimanche. Si je ne devais garder qu’une seule image ce serait celle-là. Tout l’esprit rugby était dans ces applaudissements spontanés, rien de prémédité, d’arrangé, d’un peuple ovale à un de ses enfants qui n’est même pas basque. Dans un stade qui porte le nom du plus grand.
Quand nous avons choisi d’écrire « Rugby au centre » avec mon ami Jacques Rivière, nous sommes allés voir Jean Dauger. Avant tout autre trois-quarts centre. C’était en 1983 et il flottait. Après plus d’une heure d’entretien au plus profond de la philosophie ovale, Manech – Jean, en basque -, ainsi que l’appelaient ses amis du pays, nous accompagna, immense parapluie ouvert, jusqu’à notre voiture et nous glissa un « Bonne quête » qui ne nous quitte pas depuis.
Il aurait aimé ce moment chargé de symboles, Manech… Dans l’espace anxiogène qu’est devenu le rugby pro, les marques profondes de respect, de reconnaissance naturelle, de partage et d’unisson méritent d’être soulignées et appréciées. Il y avait des pleurs, des larmes et des sanglots, le week-end dernier. C’est pour cela que le rugby est grand. Surtout.
On regrette souvent ici que les visiteurs de l’autre hémisphère débarquant en grand nombre fassent de l’ombre à nos jeunes pousses qui tardent à éclore. Alors quand je vois jouer Sanga et Chaume avec Clermont, Oz avec Grenoble, Javaux et Chauveau avec le Racing, Daguin et Macalou avec le Stade Français, Saurs, Bouvier et Miquel avec Agen, je me dis qu’il y a encore des générations à découvrir, des carrières à suivre.
Ce n’est pas une question d’âge, finalement, que de tisser des liens. J’ai reçu, grand plaisir, ce lundi une lettre de Michel Sitjar, 73 ans et pas une ride à la rime. Il m’engage d’une écriture nette à écouter la Polonaise Héroïque. « Cela m’enthousiasme, tous ces morceaux de musique dans lesquels on sent le génie exprimer magnifiquement l’amour de son pays. » J’avoue en préférer une autre mais le contact est établi.
Qu’aurait donc bien pu écrire Antoine Blondin sur « l’absurdisme » – un néologisme made in Sitjar – des rebonds topquatorziens ? Cette « volonté cruelle », ajoute le poète de La Magistère, ce « brouillard effrayant et épais ». Blondin et Sitjar échangeaient souvent, flottant dans les degrés. On ne passe pas par Golfech, c’est un fait, mais il est regrettable, ne serait-ce que pour écouter la maison aux oiseaux depuis cette berge de la Garonne.
Vous, je sais pas mais moi ça va mieux quand je lis de la poésie. Dernièrement, j’ai reçu le dernier opus de Benoit Jeantet (souvenez-vous, il avait rencontré ici même Charles Juliet pour évoquer le pays du long nuage blanc). Là, il s’est mis au vert et à la prosodie sur azerty. « Comme si le monde flottait ». Ainsi titré ce recueil de nouvelles ciselées et ovales. Aux éditions Salto. Adoucissant.