C’est un tome de l’histoire du rugby français dont l’écriture se termine à l’annonce des retraites d’Imanol Harinordoquy, de Clément Poitrenaud et de Damien Traille. D’autres pages sont néanmoins à prévoir dans les semaines à venir, une fois la phase finale terminée. Ainsi va le rebond ovale : le sport est pratiqué par de jeunes gens dans la force de l’âge et nous, observateurs, fermons et ouvrons des chapitres.
Ces trois-là ne sont pas tout à fait nés à l’heure du rugby professionnel. Imanol gardera précieusement dans sa mémoire vive son premier titre, obtenu avec ses copains de l’US Nafarroa-Garazi. Clément, un artiste, a aimé exposer ses œuvres photographiques sans fausse pudeur et avec finesse. Damien est revenu aux sources et va poursuivre la filiation, le rugby comme trait d’union.
Trois internationaux aux personnalités contrastées, parfois mal comprises. Ils ne pleuraient pas pour une mauvaise note dans L’Equipe, n’ont jamais envoyé leur attaché de presse ou chargé de com ou agent négocier une interview, évoquer un article qui n’aurait pas été écrit à leur avantage, annoncer une opération marketing. Leur accès était direct, sans fard. Il le restera.
Imanol – ça signifie Emmanuel, en basque -, tout comme Clément et Damien, auraient encore pu jouer une saison. Ils partent avec de bons sentiments à faire partager. Avec eux, ce sont les années 2000 qui s’estompent un peu. Il en est ainsi à chaque décennie. La vie est ainsi fête. Le rugby, lui, gardera leur trace, celle de leurs exploits, de leurs déboires, de leurs peines et joies ; de leurs coups de gueule, surtout celui d’Imanol à l’issue du Mondial 2011, l’année où la France pouvait vraiment devenir championne du monde sur un seul match.
Ce qui les réunit ? L’émotion qu’ils transmettaient naturellement. Ce que je garderai d’eux ? D’Imanol une séance d’interview en 2002 où il avait commandé un chocolat à la brasserie d’Aguilera et semblait tellement stressé, tendu, soucieux de ne pas répondre à côté. Je l’avais trouvé touchant de sincérité. Il m’avait interrogé. « Qu’est-ce que vous me voulez ? ». Un an plus tôt, j’avais rédigé son premier portrait et appris de lui la traduction de son prénom. J’ai eu plus de chance que Jacques Brunel et Abder Agueb, qui prirent un raffut pour la même question.
De Clément la façon magnifique dont il a su rebondir, garder la tête haute, le buste droit et le regard clair, après sa mésaventure à Twickenham, ce rebond de trop dans l’en-but face à Robert Howley. De quoi finir là. Lui est reparti plus haut, mieux, fort. Une leçon. Comme celle que donne Damien. Février 2007 à Agilera. Séance photo pour L’Equipe Mag. Damien, les coudes en sang, a plongé trente fois devant l’objectif sur un terrain gelé à la demande de Gérard Rancinan. Le cliché est magnifique. Damien a joué ouvreur, centre et arrière en équipe de France sans état d’âme. Les trolls des réseaux sociaux ont ironisé sur lui plus que sur tous les autres de ses coéquipiers. Lui n’a jamais répliqué car c’est un vrai gentil, un passionné de ce jeu, un coéquipier modèle. Fils de (René, Oloron), il est désormais père de (Enzo, Biarritz). Bon sang…
Que nous disent sur nous ces trois joueurs ? Qu’ont-ils semé sur et en dehors des terrains ? Quels lendemains nous annonce leur retraite sportive ? Je n’ai pas de réponse, aujourd’hui, à ces questions que je me pose. Que je vous pose. En fait, Imanol, Clément et Damien, qui ont beaucoup et tout donné, nous demandent après plus de dix ans de carrière : qu’est-ce que le rugby ? Qu’en avez-vous aimé ? Celui des Four ou des Six nations ? Celui qui est Super ou celui qui est Top ? L’Europe ou l’entropie ? Le terroir ou le tiroir-caisse ? Damien, Clément et Imanol nous adressent donc une passe à la croisée du chemin.
Resteront la saison prochaine Frédéric Michalak à Lyon et Vincent Clerc à Toulon. Relancés sur des terres d’exil. Ils veulent prolonger leur vie de rugby. Et les nôtres par rebond. Pour encore quelque temps. Le temps qui se rétrécit en fin de saison. ne restent que six semaines. Elles mèneront sans répit ni repos jusqu’au final à Barcelone. Six semaines pour sacrer le meilleur du rugby français, comme un hommage – on l’espère – à ceux qui s’éloignent.
Postface : mon ami Sébastien Boully, depuis Cannes, me parle de «Mercenaire», réalisé par Sacha Wolf. L’histoire à Fumel d’un joueur de Wallis et Futuna. Très applaudi. Avec un prix à la clé – label Europa Cinéma – lors de la Quinzaine des réalisateurs. A voir donc.