Fait pour durer ?

Depuis une décennie que le XV de France se cherche un demi d’ouverture suffisamment mature pour prendre ses responsabilités sans avoir à regarder en direction du bord de touche pour demander à ses entraîneurs ce qu’il doit faire, il est possible d’affirmer que Jules Plisson, samedi dernier, face à l’Italie, s’est inscrit en rouge et blanc, pardon, en bleu, sur la durée. En choisissant de tenter le but de pénalité de cinquante mètres en coin quand le staff et son capitaine souhaitaient la pénaltouche, il s’est imposé à un poste où les candidats sont aussi rares que peu fiables.
Quand William Webb Ellis prit le ballon à la main au lieu de le frapper au pied pour avancer, ce fut « avec un beau mépris » pour les usages de son époque. Que Jules Plisson – à qui tout le monde indiquait la touche – pose le sien, de ballon, sur un tee au pied de ses entraîneurs, tribune officielle, pour frapper au long cours ce qui allait devenir le but de pénalité de la victoire face à l’Italie, 23-21, en dit long sur sa personnalité, laquelle est en train de s’affirmer de la plus forte des manières. Ca va faire du bien à cette équipe de France qui fait sa mue.
Bien entendu, je suis d’accord avec vous tous, insatisfaits. La mêlée française n’était pas dominatrice, les avants plus concernés par le mouvement à alimenter que par les rucks à verrouiller. La défense glissée a laissé d’immenses espaces que l’Italie a su défricher à pleins mollets, les passes dans la défense ont manqué de tranchant, et nous avons souffert dans les trois dernières minutes quand d’une pénalité ou d’un drop – mais n’est pas Zinzan qui veut – la défaite semblait promise.
Mais on a vu plus de passes en un match, au Stade de France, samedi dernier, que lors des quatre dernières saisons tricolores. Il y avait de l’allégresse et de l’insouciance, ou alors beaucoup d’obéissance à suivre les consignes qui étaient de donner du plaisir avant d’en prendre. Véritable changement de paradigme que ce premier match de l’ère Novès. Bien sûr, c’est loin d’être parfait, c’est en chantier, ça manque de densité et de férocité, mais au moins personne ne s’est ennuyé.
Ce ne fut pas le cas devant le roboratif Ecosse-Angleterre, l’hésitant Marseille-PSG et le chapelet de maladresses superbowlien entre Broncos et Panthers qui nous a poussé jusqu’au petit matin. Reste le cas, inquiétant je vous l’accorde, de l’Irlande à venir. Ses trente premières minutes sont à montrer dans toutes les écoles de rugby et il y a fort à parier que son match nul, 16-16, à domicile face au pays de Galles tout aussi tonique, vécu comme un échec, sera un élément moteur, samedi prochain, au moment d’attaquer Jules Plisson et ses copains.
La chance, à savoir un pied tordu comme celui de Sergio Parisse, ne va pas se présenter deux fois de suite à une semaine d’intervalle pour nous offrir un succès à la petite semelle. Non, les Irlandais vont continuer, avec ou sans Sexton,  de (re)présenter sans calcul le meilleur de ce jeu. Victorieux des deux derniers Tournois, ils ont assommé les Tricolores de Dusautoir lors du Mondial 2015 et alignent une génération renouvelée qui ne souffre pas des absences de glorieux comme Brian O’Driscoll et Paul O’Connell.
De l’Irlande, Jean-Pierre Rives écrivait qu’il aurait aimé la représenter s’il n’avait pas été Français. Il faut dire que les enfants de Slattery, de McBride et de Wood se jettent la tête la première dans les regroupements avec une délectation non-feinte qui annonce un combat tellurique dans les rucks. Une partition pour corps et percussions en clé de sol qui nous en dira plus long samedi sur la consistance du Quinze de France version Novès qu’une victoire miraculeuse contre les Transalpins ; si Poirot, Jedrasiak, Camara, Bézy, Danty, Bonneval et Vakatawa sont fait pour durer.
Avant de se retrouver pour évoquer cette deuxième journée, un petit mot sur ce phénomène fidjien, d’ailleurs. Spécialiste du 7, avec seulement quelques bouts de matches à XV au Racing 92 derrière lui, Virimi Vakatawa a étincelé comme rarement joueur dès sa première sélection, encore que Teddy Thomas avait été brillant lui aussi. Cela dit, la différence, c’est qu’à pleine puissance Vakatawa a œuvré en défense, sur les ballons hauts, dans le plein champ, bloquant trois défenseurs pour faire vivre le ballon d’une main.
Depuis vingt ans, l’ancien flanker international Thierry Janeczek, formateur de ce jeu à la FFR, n’a cessé d’alerter les élus fédéraux sur l’importance du 7 dans la formation de la gestuelle et des réflexes technique du joueur, au sol, en défense et en attaque. Sans remonter à David Campese, Jonah Lomu et Vaisale Serevi, au moment où les Français continuent de s’enliser chaque semaine davantage dans le circuit mondial à 7, il est encore temps que Marcoussis considère à sa juste valeur cet avatar. On espère juste que la performance de Vakatawa aura décillé quelques techniciens.

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