Question d’attitude

Au moment où revient la Coupe d’Europe pour une longue parenthèse, je relis la chronique d’un philosophe et académicien, Jean-Luc Marion, dont le titre s’inscrit dans le prolongement de tous les vœux que je vous souhaite : « Ce que nous avons perdu : l’attitude ». Triple entrée puisqu’elle ouvre le n°67 d’Attidude Rugby, trimestriel de haute tenue.
C’est donc bien cela qu’il faut retrouver en cette année 2016 : l’attitude. « Du rugby passable n’est plus du tout du rugby, écrit ce phénoménologue. Il y a pire que perdre un match de rugby – perdre son rugby, ne pas parvenir à jouer du rugby comme tel. » Et d’ajouter : « L’équipe de France a perdu, contre la Nouvelle-Zélande, plus qu’un match. Elle a perdu le rugby. Or elle n’en a pas le droit, parce que c’est elle qui, il y a encore peu, l’avait porté à son accomplissement. »
Pour comprendre ce que Jean-Luc Marion signifie, il faut reprendre sa longue et riche chronique au début, développement précis de ce qu’est le rugby, de ce qu’il représente, de comment il s’articule. En couverture de ce Spécial Coupe du monde, la photo de Dan Carter, visage serein nimbé de pluie, fort d’un titre mondial comme on accomplit une mission. De quoi nous faire passer l’hiver à Colombes.
Certain mécène semble se lasser de courir après la gloire-libido une fois qu’elle est transformée en trophées ; d’autres continuent de construire un palmarès béton ; tous nous rappellent que les valeurs sont sensibles, parfois instables, souvent éphémères, et que le développement durable en rugby ne se trouve jamais aussi bien que préservé dans certaines enclaves, à l’abri des tempêtes du classement.
Samedi, dans L’Equipe Magazine, mon ami Jean-Christophe Collin – un ami, c’est celui qui se jette dans le ruck pour éviter que vous soyez piétiné – dresse à la façon dont Salinger hissait haut la poutre maîtresse le portrait du Brviste Arnaud Mela, l’un des derniers gaillards d’avant taillés dans le bois dont on fait les meilleurs deuxième-lignes. Espèce menacée.
Le Pyrénéen Mela assure, en parlant de Jamie Cudmore, son alter ego canadien de Clermont : « C’est quand même mieux de partager une bière avec un mec comme lui qu’avec certaines starlettes d’aujourd’hui qui doivent demander l’avis de leur agent pour savoir s’ils ont le droit de sortir boire un coup. » C’est taillé par des bûcherons. Me revient immédiatement l’écho – « starlettes » – d’une saillie de Philippe Saint-André au lendemain d’une défaite contre le Pays de Galles au Stade de France dans le Tournoi 2015.
Que le XV de France version Novès ne soit pas capable de faire naître naturellement un capitaine au point d’ajouter à la nomination du méritant Guirado un « à l’essai » en dit beaucoup sur cette génération perdue  – « gâtée », nous glisse Christian Badin – qui s’est abîmée deux fois à Cardiff – contre l’Irlande et la Nouvelle-Zélande – à l’automne dernier. A défaut de label bleu et d’hommes atout flair, c’est d’abord d’attitude dont le XV de France a besoin. Pour les sélectionnés, le niveau intermédiaire entre le Championnat domestique (et parfois trop domestiqué) et le Tournoi s’appelle Coupe d’Europe. Dans un hiver qui oscille, gardons l’œil sur ce baromètre. La première journée « rejouée » est d’ailleurs riche d’enseignements, dans le sillage de Sakou Macalou et par ailleurs des ballons portés.
 

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