Debout

Une chose que les récents événements nous ont appris, c’est qu’il faut rester debout. Et là, on parle rugby. Il faut donner vie. En l’occurrence ici au ballon. C’est l’enseignement du dernier Mondial, plutôt enthousiasmant de ce point de vue, et on remarque bien, en regardant les rencontres de Coupe d’Europe, du moins celles qui n’ont pas été reportées pour cause d’événements justement, qu’il se prolonge.
Debout, c’est le rugby pratiqué depuis deux journées de Coupe d’Europe par les Anglais, désormais revenus en club. Et aussi celui des Gallois, du moins les Ospreys, multipliant les initiatives jusqu’à la dernière seconde à Marcel-Michelin. Un jeu de recherche d’intervalles, à défaut de s’isoler dans l’espace. Un jeu de passes et de mouvement(s). Pas besoin de gros gabarits, les appuis suffisent. Et surtout l’envie.
Jouer, c’est éviter qu’une ligne de hors-jeu se matérialise au sol, éviter que les défenseurs se replacent en fonction de celle-ci. On remarque le bras tendu des «gardes», ces premiers plaqueurs au ras des rucks : signe que la défense, bien alignée, commence à prendre l’avantage sur l’attaque. Que le surnombre va rapidement pencher en faveur de ceux qui n’ont pas le ballon.
Pierre Berbizier, avec lequel j’échangeais sur le sujet, remarquait la vitesse avec laquelle les demis de mêlée accéléraient le tempo. «On a retrouvé des demis de mêlée qui collent au ballon et ne perdent pas de temps à l’éjecter, dit Berbize. Au point qu’on a presque l’impression qu’il n’y a pas de ruck, pas d’arrêt au sol.» Effectivement, quand on regarde les rencontres de ce Mondial, pas plus de deux secondes entre le moment où le porteur de la balle va au sol et se place en position de l’offrir à son demi de mêlée, lequel l’expédie illico. Et c’est ce qu’on a revu en Coupe d’Europe.
L’échec – encore très relatif – des clubs français lors de ces deux journées européennes tronquées provient du fait qu’ils n’ont pas encore intégré cette donne. Le passage du ballon au sol est un aveu collectif d’impuissance, un  coup d’arrêt funeste, la fin du fameux «momentum» cher à nos techniciens, expression latino-anglo-saxonne pas encore traduite et qui signifie, si l’on en croit une définition pas contrôlée, le tempo. Mais je préfère celle d’Alexandre B., dans un des commentaires de ce blog, à savoir élan.
Il s’agit de l’accélération du mouvement, de la vitesse du jeu par l’addition des passes dans la défense, de prises d’intervalles, de rucks éclairs, de transmissions courtes et sèches comme autant de mèches prêtes à déclencher l’explosion de la défense. Ce tempo – un scherzo -, ce rythme accéléré à chaque mesure nous vient des Japonais, les premiers, à Brighton, en septembre dernier et s’est propagé. Sauf que tout le monde n’a pas été capable de le capter.
Dans le prolongement de ce constat, Fabien Galthié remarque que l’image des entraîneurs français à l’étranger s’était petit à petit détériorée depuis huit ans ; qu’il y avait urgence à repenser notre jeu ; à affirmer notre culture, laquelle correspond au jeu debout, soutien permanent autour du porteur de la balle, regard précédant la passe, prise d’intervalle, assurance que le rythme ne sera pas cassé et pour cela éviter le mètre de trop.
L’avantage de la Coupe d’Europe, entre de grosses séquences de Championnat, c’est qu’elle sert d’observatoire du long terme. On sent bien, dans la foulée d’un Mondial 2015 raté par le XV de la Rose, que le rugby anglais est loin d’être fané. Quatre leaders de poules sur cinq affichées, le signal – fort – est envoyé. J’ai hâte de savoir s’il s’agit d’une constante ou d’une réplique. Rendez-vous mi-décembre.
Prochaine chronique, mercredi 2 décembre. « La nuit du rugby »

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