Du jamais vu à ce niveau de la compétition. Aucune finale de Coupe du monde n’a été aussi spectaculaire, aussi envoutante, même. On a beau creuser, on ne trouve pas trace d’équipe offrant une telle performance. A ce sujet, il faudrait arrêter d’écrire «prestation» quand on évoque une démonstration de cette amplitude. Dernier à monter sur le podium à Twickenham, le coach kiwi Steve Hansen a reçu sa médaille des mains de Bernard Lapasset, Mr. World Rugby. Un ancien Rochelais devient donc discrètement double champion du monde.
L’art et la manière que ce troisième titre mondial néo-zélandais ; un morceau d’anthologie livré sur un plateau doré au pays qui a vu naître cette discipline sportive. Trouvera-t-on un qualificatif adaptée à cette symphonie de rugby. Digne de la Neuvième ? Hymne à la joie de jouer, sans aucun doute. Autant en 2011, les All Blacks avaient été tétanisés par l’enjeu, dans leur stade, devant leur public. Autant quatre ans plus tard, ils se sont ouverts en libérant le ballon dès que possible. Rugby de tableau noir, de cadre noir. Jeu de vitesse, de percussion, de rythme ; rugby d’exécution, de prise d’intervalle, d’ensemble. Monument. Bien plus imposant que Twickenham, plus étincelant que le trophée Webb-Ellis.
Les Australiens, dans tout ça ? Pour danser le tango, il faut être deux. Comme en amour. Seul, c’est bien aussi, mais il ne faut pas en abuser. Les All Blacks ont été grands parce que les Australiens ont été forts. Au sol, tout d’abord, pour récupérer des ballons dans les rucks et bloquer plusieurs avancées kiwis. Mentalement, surtout, menés 21-3, pour revenir à 21-17 en l’espace de onze minutes.
Les Wallabies de Cheika ont rallumé cette finale au moment où on pensait que les All Blacks leur avaient éteint la lumière. Mais dans un dernier quart d’heure de maîtrise totale, un dernier quart d’heure de champions, les All Blacks ont verrouillé leur titre. Par Dan Carter, dont le recrutement au Racing 92 – bien joué Jacky – va remplir les travées de l’Arena. Avant cela, c’est Ma’a Nonu – bien jugé, Mourad – qui avait vissé le score d’un exploit sur demi-terrain. Mayol l’attend impatiemment.
Quelle équipe pouvait empêcher les All Blacks d’entrer deux fois dans l’histoire ? L’Angleterre au meilleur de son jeu ? L’Afrique du sud avec un supplément d’étincelle ? Des Gallois, des Argentins ? Sans doute pas. Peut-être une équipe venue de Mars. Et encore. Avec des joueurs à quatre bras. Parce que le festival de passes noires a été si subtilement réalisé que rien ni personne sur notre planète ovale n’aurait pu l’annuler.
Que va-t-il rester de cette apothéose 2015. Tout, on l’espère. Le noir va devenir une couleur. Lumineuse. Une référence absolue, le fond d’écran de toutes les équipes. Une volonté offensive va rayonner, c’est obligé. Plus jamais quelqu’un ne pourra évoquer autre chose que le jeu, leur jeu. Il affiche complet. Rien ne peut en être retranché. C’est l’Outrerugby, expression de l’écrivain Benoit Jeantet. Parce que l’emporter est vital. Question de survie, dixit Charles Juliet visiteur dans le vent.
Et nous, observateurs, qu’allons-nous remporter de ce Mondial ? Des émotions, des frissons, des visions. Du rugby de rêve pour quatre ans, jusqu’à la prochaine au Japon. Cette Coupe du monde 2015 est «Le sacre du jeu», titrait L’Equipe Magazine avant cet apogée, sous la plume de Jean-Christophe Collin, son plus subtil messager. Rien n’est plus vrai, plus frais, plus jouissif, plus enjoué. Jouez, jouez…