Science physique

Quand on vu, en demi-finales, le niveau d’engagement des joueurs de l’hémisphère sud dans les impacts, les contacts, les plaquages et les déblayages, il sera difficile désormais d’ironiser sur leur Super Rugby naguère jugé trop spectaculaire pour être totalement efficace. Jamais dernier carré mondial n’a atteint une telle intensité physique, jamais nation du nord n’en avait été absente.
Le rugby du Tournoi s’est perdu sur le chemin de Twickenham. Samedi et dimanche dernier, Gallois – au complet – et Ecossais, motivés comme ils l’étaient en quart, auraient pu tenir le choc. Les Anglais sans doute aussi, mais on n’en saura rien. Quant aux Français, si peu engagés sur le front du combat collectif et individuel, ils auraient sombré dans des profondeurs abyssales jamais atteintes, au-delà même des soixante points.
Le Four Nations Championship a gagné ses lettres de noblesse au milieu des rejetons de la monarchie anglaise, introduit désormais dans le Temple le temps d’une fin de semaine pluvieuse et froide. Les conditions météorologiques, l’automne londonien, n’ont pas refroidies ni gênées les ardeurs. Nous avons assisté à deux immenses rencontres, et à chaque fois les plaques telluriques s’entrechoquant ont fait trembler le stade, certes, mais surtout bougé les lignes comme sans doute jamais dans l’histoire ovale.
Le rugby, à ce niveau d’expression et de pression, est une science physique. Sans gros plan,  depuis les cintres du stade de Twickenham, on voyait bien que ça tapait fort. Très fort. Pour que les Springboks finissent genoux à terre, exténués, dans leurs vingt-deux mètres, en essayant de remonter le terrain et deux points de retard dans un ultime effort, il fallait bien que les All Blacks leur aient infligé une terrible sanction aux points d’impact.
Les Argentins, qui ont détruit l’Irlande, furent incapables d’inscrire le moindre essai, le lendemain, fracassés au plaquage par les Australiens. Cinq Pumas sortis du terrain brisés et remplacés pour preuve de la violence des rencontres, et celui qui est resté, l’arrière Tuculet, avait le nez cassé. Pour autant, il serait vain de ressortir l’aspect marquant de ces demies en occultant les qualités techniques exprimées. Et surtout l’engagement mental et les plans de jeu. L’écrivain Benoit Jeantet parle même (d’)ailleurs d’Outrerugby dans l’intervalle exprimé par Pierre Soulages tant la matière, compacte, est lumineuse.
Quatre équipes, quatre nations, quatre façons d’aborder un match couperet, quatre visions du rugby. Samedi prochain, le champion du monde laissera une empreinte. «Les All Blacks, c’est ce vers quoi on doit tendre,» dit l’ancien ouvreur de la Rose, Stuart Barnes, amoureux déçu du French Flair. Mais tous, entraîneurs, journalistes, observateurs, passionnés, sont tombés sous le charme de ce coquin de Michael Cheika. On y reviendra.

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