Soleil rouge

Et avec un formidable mépris pour la règle tacite qui veut qu’on frappe une pénalité à la dernière seconde pour obtenir le match nul, les Japonais se sont saisis du ballon à la main pour aller inscrire l’essai de la victoire. Ils sont les héritiers de William Webb Ellis et, s’ils ne reçoivent pas le trophée éponyme le 31 octobre à Twickenham l’auront quand même bien mérité. Brighton, 19 septembre 2015. Gravé dans le marbre de nos mémoires comme un retour au sources d’une modernité qu’on aimerait mieux partagée.
Le premier tour est passé. Le monde ovale coupe à carreau.  D’entrée voici les Springboks éjectés. Une page écrite avec du bruit, de la fureur, de la folie même. Une fois bien balancée la cérémonie d’ouverture en prélude à un arbitrage vidéo intempestif qui promet des arrêts sur images lénifiants, j’avoue avoir douté. La réalité n’existe donc pas ? Le virtuel seul commande. C’est d’époque. Un arbitre revient sur sa décision parce qu’un verbalisateur dans sa cabine lui suggère de remonter le temps comme lui remonte les images. Tout serait donc affaire d’angle. De prise de vue. Est-ce objectif ?
Le rugby, forcément subjectif, est souvent injuste par nature. On écrit ensuite l’histoire, on capte des témoignages éclairants. Le rugby est un roman, finalement. De capes et d’effets. Il suffit de lire les commentaires laissés au bas de notre Top 100. A chacun manque ses héros, ceux de nos enfances, à jamais pour un crochet, une image, un souvenir.
On a trouvé les Anglais empesés, des Irlandais et des Gallois assurés, un XV de France rassuré (c’est le XV de la France, maintenant, rassemblée) après quatre ans de doute, la Nouvelle-Zélande secouée. On attend l’Australie et l’Ecosse. Le tour est fait. Cinq nations susceptibles d’être sacrées championnes du monde. Mais on s’en fiche un peu, pour l’instant… Dans Coupe du monde, il y a monde. On aura le temps de revenir à la Coupe.
Japon, surtout, mais aussi Géorgie, Fidji, Tonga, Samoa et Etats-Unis nous rappellent que le rugby n’est pas circonscrit au G8 . Tous les quatre ans ce jamboree nous fait voyager. Quand je vois ce que mettent Japonais et Georgiens d’engagement et de panache, je me dis que les nantis pourraient prendre exemple.
La pratique du rugby est partout étalonnée. Les schémas (on appelle ça des chaînes de jeu, c’est vilain, ça fait condamné aux travaux forcés) sont les mêmes. Dans ce Mondial, j’ai compté sept entraîneurs néo-zélandais (Cotter, Schmidt, Hansen, Haig, Crowley, Gatland, McKee), sans tenir compte des adjoints. Uniformisation ? Samedi, le Japon nous a montré qu’en utilisant des espaces libres, en puisant dans sa culture, en transformant un point faible en avantage (la taille, par exemple)  et une caractéristique – la vivacité – en principe, il était possible de terrasser des montagnes.
C’est le sens qu’on peut donner à l’exploit japonais qui, je l’espère, deviendra un succès quand d’autres victoires auront montré qu’il n’était pas sans lendemains qui chantent. J’aimerais trouver une chute digne de l’instant vécu à Brighton. J’entends une immense clameur, je vois de joie des larmes couler. Merci Sylvie. Parfois mieux vaut ne pas fermer trop vite les portées et laisser la coda. Attendons mercredi sur Comme Fou. Et rendez-vous à Gloucester.
Et parce qu’on est jamais mieux servi que par soi-même, voici – my style of swing – ce que j’aurais aimé joué au piano – si j’en avais trouvé un au Queens Hotel de Brighton – pour mon anniversaire (cuvée 1959) ce 20 septembre.

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